Par définition l'Univers est l'ensemble des lieux et objets issus d'un même événement primordial (en langue vernaculaire, le Big Bang). D'une façon assez surprenante, le terme "univers" est plus ancien que la théorie du Big Bang : on peut donc se dire que l'esprit humain a conçu l'univers comme une réalité spirituelle, voire sociologique, avant même de le reconnaître aussi comme une réalité physique, obéissant à des lois mathématiques bien définies et consistantes en chacun de ses points. Le fait est que les deux concepts - celui de l'univers physique, et celui de l'univers humain - coexistent au sein des représentations de l'espace. L'univers physique est trop grand et beaucoup de gens ont des difficultés à en appréhender les échelles : souvent, les gens confondent par exemple "système solaire" et "galaxie"... A ce sujet, certains astronomes à la fin du XIXème siècle parlaient volontiers, comme pour en ajouter à la confusion, "d'univers d'étoiles" pour désigner les galaxies d'une façon poétique !
Dans Dune, Shaddam IV est l'Empereur de "l'univers connu". De toute évidence, Frank Herbert a choisi son camp : le mot "univers" va renvoyer ici à une dimension sociologique et donc humaine. "Univers", au moins dans les premiers développements de Dune, doit s'entendre au sens d'espace humain. L'Univers connu de l'Imperium, ce n'est rien d'autre qu'un écoumène : là où l'on parle le galach, là où vivent les descendants de ceux qui ont remporté le Jihad Butlérien, et ainsi de suite... Je ne sais plus avec précision si c'est dans Dune ou si c'est plus tard dans le Cycle de Dune qu'est cité le nombre d'un million de mondes habités (Matou, si tu nous regardes...). Pour mémoire, Isaac Asimov parlait dans Fondation, vingt ans avant, d'une Voie Lactée comptant vingt-cinq millions de mondes. J'ignore si Herbert a lu Asimov, mais le fait que le premier parle d'un Imperium plus petit que l'Empire galactique du second est à mon avis tout sauf anodin. Pour moi, l'Imperium de Dune n'est pas un Empire galactique mais plutôt une région somme toute assez petite au sein de la Voie Lactée.
Comme souvent dans le Cycle, la question se complexifie à partir de L'Empereur-Dieu de Dune. La Dispersion est présentée comme ayant atteint de nouveaux univers. La solution la plus évidente consiste à prendre Herbert au mot : poussés par la faim et par l'anarchie au coeur de l'Imperium, les fuyards parviennent d'une façon ou d'une autre à sortir des limites physiques de l'Univers, avant d'y revenir des générations plus tard au moment de ces romans si étranges que sont Les Hérétiques de Dune et La Maison des Mères. Il existe pourtant une autre solution, peut-être plus simple : considérer qu'une fois encore Herbert parle d'univers non physique mais bel et bien humain. Dans cette solution, les égarés de la Dispersion partent au hasard et se perdent ailleurs dans l'univers physique, par exemple dans des recoins très éloignés de la Voie Lactée ou peut-être dans d'autres galaxies. Cette solution me semble être la plus intéressante car elle est tout à fait cohérente avec cette idée de l'univers connu telle qu'il apparaît dans Dune... mais j'admets tout à fait qu'il subsiste une ambiguïté dans le texte herbertien !
En conclusion, pour moi Herbert ne parle pas d'univers au sens physique : cela ne l'intéresse en réalité pas, comme on le savait auparavant... A-t-il choisi le terme univers en toute connaissance de cause, par goût pour l'ambiguïté, ou l'a-t-il choisi parce que lui-même ne maîtrisait pas toutes ses implications ?