L'Empire est dépendant de l'Épice, c'est un un peu parallèle avec la dépendance face au pétrole: comme le souligne Paul, c'est la cohésion de l'Empire qui est dépandente de l'Épice pour son usage en temps que 'carburant' (ici non pour moteurs mécaniques mais pour les cerveaux des Navigateurs) pour permettre les déplacements de la Guilde. La dépandance est 'indirecte', mais réelle.
On ne consomme pas par ingestion le pétrole brut ou directement. C'est là la différence avec le Mélange qui peut s'ingérer ou se boire (pourquoi pas se fumer...)
Mais le pétrole c'est salissant. Est-ce que l'épice est-elle salissante ?
le processus d'extraction de l'Épice nous montre que c'est comme travailler dans les mines d'or ou de diamant: dangereux et peu valorisant. Alors que ceux qui gèrent d'en haut ont tout le prestige que la fortune leur apporte.
Est-ce que prendre de l'Épice c'est comme sniffer de la colle ou fumer de l'opium ? Sniffer de la colle c'est clairement un truc de junkie et de pauvre, fumer de l'opium dépend aussi du contexte. Alors si l'Épice c'est le pétrole, veut-on pour autant en consommer personnellement? Et si en plus cette consommation laisse des séquelles, veut-on les laisser apparentes?
Il contempla son Mentat assassin, s’arrêtant à ce détail que la plupart des gens remarquaient avant tout autre : les yeux, les yeux bleus sans le moindre blanc, avec seulement des stries d’un bleu plus sombre. Un sourire bref vint déformer les traits de Piter. C’était comme une grimace dans un masque, avec ces yeux pareils à deux trous bleus.
Aussi, la consommation d'Épice ne semble pas être quelque chose de trivial.
« [...] Vous souvenez-vous du goût de l’épice, la première fois ? »
« C’était comme de la cannelle. »
« Mais le goût n’est jamais le même. C’est comme la vie. Chaque fois un visage différent. Certains prétendent que l’épice engendre une réaction induite. Le corps, apprenant qu’une chose est bonne pour lui, interprète favorablement le parfum. Et cette chose, tout comme la vie, ne peut être vraiment synthétisée. »
sauf sur Arrakis bien sûr ...
« Superbe ! dit-il en goûtant le chukka. Tout simplement délicieux ! Et pas une goutte de Mélange là-dedans ! C’est tellement lassant de trouver l’épice dans n’importe quoi ! »
Et pour en revenir à notre point,
« Ah ! Nous y voici : Mais. Mais il consomme trop d’épice. Il la savoure comme une friandise. Regarde ses yeux ! On dirait qu’il sort tout juste d’une équipe d’extraction arrakeen. »
Cette remarque quelque peu péjorative peut nous laisser penser que les marques de l'accoutumance ne sont pas nécessairement bien en vue. Les yeux de l'Ibad sont la marque d'Arrakis, mais une marque péjorative pour les hors-monde. Un signe extérieur de richesse ? Cela l'aurait été si justement toute la population de Dune n'en fut pas affublée. En épaississant le trait, qui veut ressembler à ces Fremen cruels et violents, à ces opérateurs pauvres et puants ?
Cela peut en effet nous conduire à ce que je nommerais la 'thèse de la dissimulation'

qui semble avoir goût chez quelques intervenants depuis que la question fut posée.

Jessica se retourna brusquement. « La Guilde ? Qu’a-t-elle à voir avec l’épice ? »
Ses navigateurs dépendent exclusivement du Mélange. Quand elle a compris l’erreur que cela signifiait, elle aurait dû s’emparer d’Arrakis
Le plus grand des deux, pourtant, gardait une main sur son œil gauche. Tandis que l’Empereur l’observait, quelqu’un le bouscula, sa main glissa et l’œil apparut. L’homme de la Guilde avait perdu son verre de contact et l’Empereur vit l’œil tel qu’il était, totalement bleu, d’un bleu si sombre qu’il semblait noir.
« Êtes-vous fou ? » L’homme de la Guilde fit un pas en arrière.
« Ainsi, vous admettez que j’ai le pouvoir de le faire ? » demanda Paul.
[...]
« Ah... (Paul hocha la tête.) Vous êtes tous deux des navigateurs de la Guilde, n’est-ce pas ? »
« Oui. »
Le plus petit ajouta : « Vous aussi, vous seriez aveugle et comme nous condamné à la mort lente. Savez-vous seulement ce que cela représente que d’être privé de la liqueur d’épice lorsqu’on y est accoutumé ? »
Que les Navigateurs de la Guilde veuillent cacher leur marque d'addiction relève davantage d'une stratégie de dissimulation pour masquer leur dépendance réelle et effective au Mélange: la relation Guilde - Épice n'est pas donnée, mais éclaircie au cours du roman. Sans l'Épice, les Navigateurs sont aveugles - mais cela personne ne le sait encore, Paul le déduira plus tard.
Donc ici la dissimulation est de mise.
Chez les Révérende Mère la question est plus épineuse. Comme on a pu le faire remarquer, l'usage de l'Épice pour leurs rituels n'est pas réellement attesté puis qu'il semble qu'elles utilisent la dite Drogue de Rossak en lieu du Mélange afin d'accèder à leur Mémoires Ancestrales. Il n'y a pas de lien apparant entre l'Épice et le Bene Gesserit.
Mais si en effet elles venaient à vouloir substituer l'une à l'autre cela aurait des conséquences. Aussi bien techniques que stratégiques. Donc si au moment du départ du roman on suppose qu'elles utilisent le Mélange au point d'en développer les marques de l'intoxication et qu'elles en sont réellement dépendantes, alors elles pourraient avoir recours à des techniques de subterfuge et dissimulation comme les Navigateurs.
Pourtant cela n'est jamais remis sur le tapis. Notamment là où pourrait l'attendre, càd dans Le Messie de Dune. La conspiration qui associe Bene Gesserit, Bene Tleilax et Guilde vise le renversement de l'Empereur - pour des intérêts assez divergent.
Néanmoins creuser dans le sens d'une addiction et d'une dissimulation des stigmates de l'intoxication par le Mélanges des Révérende Mère du Bene Gesserit peut servir de grain pour une bonne novelette
