1e Critique du MESSIE DE DUNE par E.Pons & M.Thaon, 1972

Démarré par Filo, Juin 22, 2004, 01:54:37 PM

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Filo

Bah, de toutes façons, vous croyez que c'est qui qui s'est tapé L'Homme Dual et La Juste Parole en entier, hein?
Sans compter la traduction des mémoires de Ravi Shankar, qui en quantité ne sont pas un sms! :ace_sleep:
L'art est un travail ingrat,
mais il faut bien que quelqu'un le fasse.

Otheym-al'fedaykin

aaaah ca me fait penser aux cours de secrétariat avec Dactyl sur MS DOS.....Ah
on faisait ca le VENDREDI SOIR DE 14 A 17 H Vraiment quand il fallait.. en plus avec les bips énormes que ca faisait quand on se trompait, non seulement ca nous crevait, mais en plus ca nous rendait dingues ^^ !

Dragon_des_Sables

Dis-toi que tu l'as tapé pour la gloire du forum... Et en plus tu t'es entraîné en dactylographie !  :ace_lol:  :ace_wink:
es trois branches d'un accord sont l'intention, l'information et l'incertitude. La précision et l'honnêteté n'ont pas grand-chose à voir avec la question. (Leto II)

Otheym-al'fedaykin

Ne me dis pas que tu t'es aussi tapé le texte la première fois que tu l'avais posté .....noooon pas ca quand même :ace_biggrin:
abusé......MDR pauvre filo !

Mais ca montre que tu es un bosseut et tout l'honneur te revient, j'en connais peu qui auraient osé taper un texte aussi long ! :ace_wink:

Filo

CitationOtheym The Fedaykin  a dit :

Mais tu ne l'avais pas posté déja ?
Ben oui, c'est justement ce que je viens de dire... premier post de ce topic. :ace_confused:
L'art est un travail ingrat,
mais il faut bien que quelqu'un le fasse.

Otheym-al'fedaykin

Je me disais bien que je l'avais vu, et effectivement c'est dans le site de Michel Dussandier.... (d'ailleurs faudrait qu'on l'invite :ace_smile: )

Mais tu ne l'avais pas posté déja ?

Filo

'tain! Je viens de m'apercevoir que l'article que je me suis fait chier à tout retaper au début de ce topic figure intégralement déjà dans le site "Chroniques de Dune", dans la section "Textes et documents"! Tout ce boulot alors que j'aurais pu le copier/coller  :ace_mad:
L'art est un travail ingrat,
mais il faut bien que quelqu'un le fasse.

Dragon_des_Sables

Ou à Brian............ Bon d'accord ok je m'Otheymise... :ace_roi:

Sincèrement, ils pourraient vraiment nous sortir les chapitres non finis d'Herbert, mais si le Maître tout puissant a décidé de ne pas le mettre dans son oeuvre, c'est qu'il a dû avoir une raison. Par conséquent, c'est vraiment très commercial ce que font les deux zygotos.  :ace_mad:
es trois branches d'un accord sont l'intention, l'information et l'incertitude. La précision et l'honnêteté n'ont pas grand-chose à voir avec la question. (Leto II)

Filo

Ha, tu m'intéresses, j'aimerais bien que tu le retrouves.

sinon, on peut toujours demander à Matou :ace_biggrin:
L'art est un travail ingrat,
mais il faut bien que quelqu'un le fasse.

kwisatz

Ben moi je l ai relu y a pas longtemps, et malgre le fait qu il soit court, je l ai pas trop aime, car il est vraiment lent !

Par contre j ai trouve un passage a propos de "Jardiniers", faudrait que je retrouve exactement ! :ace_wink:

Dragon_des_Sables

Ce n'est pas le plus mauvais ! Loin de là !
Il est juste très intellectuel par moment, et il change avec le précédent volet qui lui était plus épique...
es trois branches d'un accord sont l'intention, l'information et l'incertitude. La précision et l'honnêteté n'ont pas grand-chose à voir avec la question. (Leto II)

Otheym-al'fedaykin


Leto

OK.
Mais t'es d'accord que le moins bon= le plus mauvais?
L'espace et le temps sont les modes par lesquels nous pensons et non les conditions dans lesquelles nous vivons
Albert Einstein

Filo

Le plus pourri, le plus pourri... comme vous y allez!
On va dire le moins prenant, le moins long, ou celui où il y a le moins d'action,
mais le plus pourri...

Sinon, pour le contexte socio-politique, n'oublions pas que c'était 4 ans après 68, et qu'il était alors de bon ton de casser toute institution (maintenant aussi, mais à l'époque c'était nouveau).
L'art est un travail ingrat,
mais il faut bien que quelqu'un le fasse.

Waff

Pas mal cet article, un peu complexe peut être qd on a pas l'habitude des critiques littéraires (ce qui est mon cas sig :ace_pleure: ), ça faisait un moment que je voulais lire une critique sur les premiers tomes, merci filo.
Par contre, datant tout de même de 30 ans c pas évident d'avoir la situation sociopolitique de l'époque en tête : typiquement qd les auteurs parlent de l'extrême droite je suis pas sûr ke ce soit la même actuellement, c pas non plus évident de savoir si il met FH ds le paquet.
Autre truc (c peut être un trait des critiques?) qd il casse du sucre sur le dos de FH, ds le paragraphe suivant il est carrément flatteur...dc si j'ai bien compris c uniquement le Messie de Dune ki se fait démolir,  c plutôt positif pr le reste...
"faut dire pour sa défense que le Messie est, pour moi en tout cas, le plus pourri du Cycle."
Ouais tt à fait dac j'avais prêté les bouquins à mon parrain et il a craqué sur ce tome comme koi...
En fait il aurait fallu un résumé en 2-3 paragraphes des idées de cette critique (ct leur boulot qd même?!?!)
:ace_drink:
Ceux qui savent ne parlent pas, ceux qui parlent ne savent pas. Le sage enseigne par ses actes, non par ses paroles." - Lao Tseu

Al Arz

Bourges pour être plus précis. Mais je connais bien Châteauroux, mes parents y habitent et j'ai joué avec les Orcs pendant trois ans. :ace_clap:

kwisatz


Otheym-al'fedaykin

nana mais en plus il souhaite la bienvenue à un des membres clé du forum ! Manque pas de toupet celui-là :ace_biggrin: !

Al Arz

Citationkwisatz  a dit :

Bienvenue, Al Arz ! :ace_wink:

Ahlan à toi aussi mon ami...Ah la sacro-sainte solidarité berrichonne...:ace_zoumzoumzeng: !

Bien sûr, merci de votre accueil à tous !

Leto

C'est vrai que certaines critiques sont très sévères. Mais ce journaliste a 2 excuses :
1° il n'a pas lu (parce que les autres n'étaient pas sortis) tout le Cycle, il perd donc une partie de la vision de FH.
2° faut dire pour sa défense que le Messie est, pour moi en tout cas, le plus pourri du Cycle.
Mais traité FH de facho, faut y aller quand même
L'espace et le temps sont les modes par lesquels nous pensons et non les conditions dans lesquelles nous vivons
Albert Einstein

kwisatz


Otheym-al'fedaykin

AAAAh, bizzare, mon post a disparu ? Ai-je montré un signe de gauchiste de base ? :ace_biggrin:

Un  mec de Bourges contre les gauchistes..la bonne caricature !

Filo

Bizarre, il me semblait que les autres étaient également intervenus à la suite de ce post pour émettre aussi leurs avis. Tout a disparu? ou j'ai la mémoire qui flanche à ce point?

Al Arz, le moins qu'on puisse dire, c'est que ta première intervention sur le forum est assez acerbe, sinon négative! Tu as un contentieux avec les "gauchistes de base"?
Attention, à vouloir dénoncer l'intellectuel onaniste élitiste, on risque vite de le devenir... :ace_wink:
Ceci dit, je te rejoins en substance, en moins sévère.

Bienvenue à toi anyway. :ace_jap:
L'art est un travail ingrat,
mais il faut bien que quelqu'un le fasse.

Al Arz

Effectivement, cela fleure bon la masturbation intellectuelle typique de la critique littéraire élitiste...
Cela dit, plusieurs points évoqués ne sont pas totalement ineptes et, une fois dégagés de leur charabia prétentieux et tape-à-l'oeil, peuvent effectivement constituer des pistes d'analyse intéressantes.
Reste que la critique est à mon avis plombée irréversiblement par deux tares récurrentes de ce genre d'exercice :
- la dépréciation systématique. Pour être un bon critique, (pensent ces ânes), il faut forcément descendre ou démystifier un auteur car le bon vieux lecteur lambda n'est qu'un idiot sentimental facilement influençable à qui il faut constamment donner des leçons...Premier enseignement du gauchiste de base : On aime le peuple mais le peuple est vil à la base.
- la découverte sytématique de tendances fachisantes cachées chez tous les gens intéressants qui n'hésitent pas à pousser leurs réflexions au-delà du bêlement de troupeau généralisé. Second enseignement du gauchiste de base : ce gars-là ne pense pas comme moi, faisons le vite passer pour un facho.

Filo

Frank Herbert ou le démiurge mystifié par sa création

Un article de Eliane Pons et Marcel Thaon
publié dans la revue FICTION n° 220, avril 1972
Reproduit sans autorisation de l'éditeur.


Au centre de l'univers repose une immense mer de sable : Arrakis, rongée par des vers à la taille démesurée, défigurée  puis remodelée par d'incessantes tempêtes, un monde où la fortune se compte en gouttes d'eau et où toute vie n'est que mort en sursis.

Mais, s'il est vrai que cette planète tue, elle n'en est pas moins l'unique coffre où s'entasse la richesse dont l'empire galactique dépend : l'épice, cette drogue aux propriétés gériatriques qui permettent de prolonger la vie.

Dans ce désert, plus connu sous le nom ô combien mérité de Dune, court l'immémoriale prophétie selon laquelle un Messie étranger libèrera les tribus de l'oppresseur, recréant sur Arrakis le Paradis perdu. Et l'on dit que les temps sont arrivés : Paul Atréides , encore appelé Paul Muab'Dib , serait la Voix d' Outre-Monde, celui dont les visions pénètrent tous les futurs possibles ......

Un an après l'importante oeuvre de  Frank Herbert, Dune, la prochaine parution du Messie de Dune dans la collection  " Ailleurs et Demain "  nous donne l'occasion de retrouver les images du désert, le bruit de l'approche d'un ver sous le sable, la senteur douceâtre de l'épice.

L'occasion aussi d'essayer de troubler l'étrange silence qui a entouré la parution de Dune. Car, si l'article de Jacques Goimard dans le Monde a été un premier écho provoqué par cet événement , rien sur le sujet n'a été écrit dans les revues concernées.

F. Herbert fait ses premières armes dans Startling en avril 1952, avec la nouvelle : Looking For Something ?, mais il ne connaît le véritable succès critique qu'à partir de 1955, avec son roman Under Pressure (Astounding SF , novembre, décembre 55/janvier 56), encore intitulé The 21st Century Sub , et aussi The dragon In The Sea, selon les éditions. Déjà  apparaissaient dans sa manière de structurer le récit toutes les qualités et défauts de cet écrivain. Nul mieux que F. Herbert n'excelle à créer des mondes autharciques où tous les détails composent une gigantesque mosaïque, mais dans  lesquels l'action se prépare sans cesse à démarrer pour, brusquement, à quelques pages de la fin , exploser aux yeux du lecteur et s'achever alors que certains aspects de l'histoire restent  encore obscurs.

On n'entend pratiquement plus parler  de Herbert jusqu'à ce que Dune World paraisse en épisodes dans Analog fin 1963 (déc.63, janv & février 64). Un an après est publiée la suite : The Prophet Of Dune (Analog,  janv. à mai 65). Puis l'auteur écrit quelques romans d'importance mineure tels que Eyes of Eisenberg et Do I Wake Or Dream ? Enfin Dune Messiah sort en cinq épisodes dans Galaxy (juillet à novembre 69). Une dernière suite est annoncée qui concluerait l'oeuvre la plus importante de F. Herbert. De cette tétralogie, les  amateurs français  connaissent maintenant les trois premiers volumes, puisque DUNE réunit sous une même couverture Dune World et The Prophet Of Dune et que Dune Messiah sort aujourd'hui sous le titre le Messie de Dune.
Et  l'intérêt de l'ouvrage a été bien mis en valeur - à l'inverse de ce qui est courant dans les milieux de la SF - par la remarquable traduction de notre ami Demuth, en tout point l'égale de l'original.

Mais retournons  sur Arrakis la planète des sables.

C'est une entreprise malaisée que de faire le résumé de ces quelques 494 pages sans compter les appendices . Non pas tellement parce que le  lecteur est sollicité par une multitude d'événements, mais bien plutôt parce que l'action concerne tellement de personnages secondaires que la trame de l'histoire est comme la toile d'araignée chatoyante dans les rayons du soleil, si enchevêtrée et ténue que ses attaches cèdent au moindre souffle de vent. Et les tempêtes sur Dune sont bien redoutables......

Dans ces conditions s'ouvrent devant le critique deux voies d'approche opposées :

- d'un côté, si l'on scomotise les figures de peu d'importance, on s'aperçoit bien vite que l'histoire ne démarre vraiment qu'à la page 169, lorsque les premiers effets de la trahison du docteur Yueh atteignent le Duc Leto Atréides. Il devient alors évident que prendre cette position, c'est littéralement trahir le texte.

- de l'autre, si l'on prenait en compte la totalité du texte, le résumé tiendrait 494 pages plus les appendices.

Cette alternative n'est pas satisfaisante, aussi essaierons-nous de rendre l'atmosphère du roman en abordant particulièrement les thèmes les plus représentatifs de l'oeuvre.

Au sein de l' empire galactique se déroule une formidable lutte opposant les Grandes Maisons, dont deux des plus importantes sont celles des Atréides et des Harkonnens..

Le Duc Leto Atréides, sa femme Jessica et son fils Paul recoivent un cadeau empoisonné du Baron Vladimir Harkonnen: Arrakis.

Sur l'étouffante Dune, les étrangers ont amené avec eux leur environnement. Seul les autochtones se sont adaptés à l'écologie de leur planète; eux savent bien l'importance de l'eau aussi tentent-ils par tous les moyens de la retenir, l'extrayant des cadavres, recueillant la précieuse rosée, portant des vêtements destinés à recycler toute l'humidité dégagée par le corps.

Ainsi s'affrontent deux cultures, celle de l'Empire, qui ressemble étrangement à la nôtre avec son perpétuel gaspillage, et celle des Fremen, toute centrée sur la rétention.

Le piège se referme sur les Atréides, Arrakis est reprise par les Harkonnens, le Duc meurt, sa femme et son fils s'enfuient dans le désert où ils sont reçus par les Fremen comme les sauveurs annoncés par la légende.

Et la réalité confirme de jour en jour le mythe. Paul Atréides est un être supérieur, l'aboutissement prématuré du plan séculaire élaboré par l'ordre occulte Bene Gesserit, qui programme les accouplements royaux pour faire apparaître de nouvelles compositions génétiques. Des visions  multiples lui composent une image de l'avenir où un même événement fera basculer l'histoire : Le Jihad, cette gigantesque croisade destinée à dévaster l'univers.

Le premier pas vers la guerre sainte est effectué par Paul quand il balaye les Harkonnens du sol d'Arrakis, réduit le Bene Gesserit au silence, s'octroie la princesse héritière Irulan pour en faire sa femme en titre, et se sacre empereur.

Ainsi  se termine cette  première partie sur la victoire amère de Paul Atréides, autrement dit Paul Muab'Dib, ou encore Usul, le Kwisatz Haderach, le Lisan Al Gaib, le prophète de Dune.

Mais laissons le scénario et préoccupons-nous du montage. Ce qui est mis en lumière tout au long des séquences, ce n'est pas tellement une intrigue que la scène où elle se joue, Dune, et derrière elle le thème central de l'écologie.

Si parler environnement et de pollution peut sembler aujourd'hui ressasser les sempiternels sujets de la presse en mal de catastrophes, F. Herbert, en 1965, faisait figure de précurseur par l'attention toute particulière qu'il portait à ces problèmes.

Sur Arrakis, les conditions de vie sont tellemnt défavorables à l'Homme que s'impose l'inexorable nécessité de l'économie. Il n'en est pas de même dans notre monde où l'on peut s'imaginer que les ressources sont inépuisables et qu'il est possible de les dilapider sans s'inquiéter des conséquences. Dune illustre bien un conflit qui est aussi le nôtre où s'opposent les pôles de l'alternative gaspillage-rétention.

Mais derrière ces constantes préoccupations dont l'actualité scientifique nous montre bien l'intérêt, se profile déjà ce que nous conviendrons d'appeler le monde obsessionnel de Frank Herbert.

Les deux tendances antagonistes s'actualisent à propos de la plus haute valeur qui soit sur la planète : l'eau. Alors que les Fremen poussent le souci de l'économie jusqu'à recycler l'eau des excréments, les étrangers méprisent assez l'inestimable élément pour le laisser se perdre : " la coutume voulait que les invités répandent de l'eau sur le sol"

Ce constant balancement entre des contraires donne une teinte bien particulière à l'univers dans lequel évoluent les personnages. Nombreux sont les couples de sentiments opposés que l'on peut trouver dans le roman ; cependant dans la plupart des cas, un des termes supplante l'autre. Ainsi la haine et le besoin de contrôle masquent  l'amour et la libre expression des émotions. F. Herbert semble  d'ailleurs très attiré par le thème du self-control. A un tel point que la capacité de se dominer devient le critère de l'humanité: n'est homme que celui qui a pu surmonter l'épreuve  de la douleur .

Pour survivre, il faut se se rendre maître de ses désirs, ne pas perdre, ne serait-ce qu'un instant, la conscience des moindres variations, dans les sensations internes, et observer, observer sans relâche l'autre, ses attitudes, ses réactions. Et il faut être vigilant, car la plus infime défaillance dans la carapace protectrice peut être mise à propos par l'ennemi.

Alors aucun moyen n'est négligé pour assurer la domination. Ni la parole qui, par une modulation subtile des sons, s'impose à la conscience de l'interlocuteur. Ni les poisons les plus raffinés qui asservissent le corps pour faire obéir l'esprit. Ni même l'emploi de la toute puissante information "seul moyen de contrôler et de diriger un mentat".

L'hypertrophie de la conscience finit par étouffer la vie sentimentale. Bien plus qu'un désert de sable, Dune est un désert affectif. Les plantes y poussent mieux que les bons sentiments. Seules émergent les pulsions destructrices sous la forme d'une haine formidable, irraisonnée qui envahit tout l'univers.

Muab'Dib, bien sûr, ne songe qu'à venger son père. Mais il est loin d'être le seul personnage vindicatif : le Baron Harkonnen et son neveu Feyd Rautha semblent n'exister que pour détruire la famille des Atréides ; de leur côté les Fremen hésitent d'autant moins à tuer que pour eux les humains ne sont rien d'autre que des récipients ambulants.....

Il ne faut pourtant pas s'attendre à des explosions de colère, mais bien plutôt à  des manifestations sournoises qui s'attaquent aux actions les plus quotidiennes. Afin de conserver sa vie, il est préférable de ne pas dormir, d'éviter toute nourriture et même de s'abstenir de faire entrer n'importe qui dans son lit....

Ainsi l'expression de la haine est de type obsessionnel ; les personnages analysent froidement leur agressivité et en extraient l'affect : " il était faible, sa raison était obscurcie par ses émotions" .

Alors s'instaure le règne de la pensée. Coupés du monde du sentiment, ils deviennent des ordinateurs qui ne peuvent s'empêcher de fonctionner : " c'est là, dans moi, jamais ça s'arrête, jamais, jamais...". Ils passent leur temps à stocker des informations afin de mettre en place des formes de luttes où les autres ne sont que des outils que l'on prend et jette.

Parodiant ostensiblement une expression célèbre que Van Vogt avait employée dans la Cité du Grand Juge (Présence du Futur), F. Herbert fait dire à Jessica: "des plans dans des plans, dans des plans sans cesse. Participons-nous au plan de quelqu'un d'autre en ce moment?" Et la suprême faute de Jessica, celle qui a fait basculer l'équilibre de l'univers dans le Jihad, est d'avoir oublié qu'elle n'était qu'un instrument, pour prendre la place du meneur de jeu en donnant naissance à Paul, au lieu d'une fille ainsi que prévu.

Les personnages semblent pétris de la même pâte ; ils sont tous ouvertement des héros cornéliens, prisonniers d'un destin qui les détourne de la vie sentimentale. En ce sens les femmes ne cèdent en rien aux hommes ; elles ne se servent plus de ce qui reste de leur féminité que pour séduire ceux qui peuvent servir leurs plans. Sous une apparence charmante se cache une volonté inflexible qu'un nom tel que Alia du Couteau commémore .

Prédestiné, manipulé, divinisé et déifié - au point que devenu objet de science, il est étudié dans de multiple manuels -  Paul Muab'Dib porte à ses limites les pénibles impressions des acteurs secondaires.

Vu par les autres, le Lisan Al Gaib n'a jamais été un enfant mais bien plutôt un surhomme dont les pouvoirs lui permettent  d'accepter à la connaissance totale. Rien ne pourra lui résister, ni Dune qu'il saura transformer en Paradis ni surtout les hommes.

Mais derrière son assurance triomphante se cache un personnage torturé. A partir du moment où Paul accède au  pouvoir commence la longue dégradation qui aboutira au Messie de Dune.  En proie à des visions qu'il ne peut ni contrôler ni modifier, il en vient insensiblement à n'être plus qu'un objet dévalant la pente qui mène au Jihad. Qui sait s'il n'a pas déjà dépassé le point de non-retour ? Mais peut-être allons-nous trop vite car le héros de Dune se raccroche encore à l'illusion du libre-arbitre...  
Est-on fondé, en fin de compte, à parler de personnages, alors que les humains ne sont décrits qu'en termes d'objets, d'outils, d'instruments plus ou moins utilisables ? Oui, car à travers cette déshumanisation qui fige le monde, transparaît encore ce que les héros ne peuvent totalement réprimer : le désir, coextensif de la vie. Celui qui se voile et se dévoile tout à la fois dans une croisade guerrière incontrôlée et incontrôlable.

Le Jihad, dont le lieu est partout et le but nulle part, n'est rien d'autre qu'une quête. Mais contrairement à des auteurs d'héroic fantasy comme Jack Vance ou L. Sprague de Camp qui insistent sur le parcours effectué par le héros, Herbert l'escamote et nous présente ce qui le précède dans Dune et ce qui le suit dans le Messie de Dune.

Muab'Dib, lui qui voit déjà les Fremen emportés de planète en planète, répondant à il ne sait quel appel, sera pris dans le tourbillon sans savoir pourquoi ni comment. Et malgré sa résistance réaffirmée à de nombreuses reprises, il deviendra même " Celui qui montre le Chemin". Un chemin qui doit mener au Paradis, un Paradis qui est censé être la future Dune.

Nul ne sait pourquoi le Jihad a été déclenché, personne ne peut en prévoir les bénéfices, mais ce qui est certain c'est qu'il y aura un prix à payer. Car incalculables seront les morts qui joncheront le Chemin de l'Ultime Bien...  Encore faut-il préciser que l'Ultime Bien de Herbert ne conviendrait peut-être pas à tout le monde, si l'on en juge par le type de société qu'il semble affectionner.

Structuré sur le modèle de l'empire romain, il y règne "la conscience claire de l'ordre". Et l'ordre est toujours supporté par une idéologie raciste qui prône que les faibles ne sont pas des humains, ainsi que la nécessité "d'un monde de tourments pour que la race évolue". Ici pointe la référence à Darwin... L'inévitable ségrégation entre les dominants et les dominés s'impose donc : "Où est la racaille, où sont les gouvernés?". Dans cette société extrêmement hiérarchisée, les hommes s'imaginent être les seuls maîtres alors qu'ils sont très souvent dominés et manipulés par les femmes. Derrière ce subtil matriarcat se révèle un aspect de la vie américaine.

Ostensiblement, Herbert combat cette forme d'organisation sociale en faisant vivre Paul parmi les tribus opprimées, mais en fait l'idéologie Fremen ne cède en rien, sur le plan de la dureté, à celle que promeut l'extrême-droite; et mieux encore, nous voyons Paul se proclamer empereur, une fois l'opposition écrasée.

Alors s'insinue l'idée que Herbert est le digne représentant de l'école de John W.Campbell . Pour continuer avec les coups de griffes, disons que nous avons beaucoup déploré l'absence de la plus petite trace d'humour et de tendresse dans cet univers de sable et de sang. Que nous sommes loin des petits récits plaisants et ironiques d'un Sheckley ou d'un Brown!

Avec un sérieux mortel, Herbert n'en finit plus de ménager d'éternelles conversations entre les héros, dialogues qu'il faut bien interrompre de temps en temps pour faire avancer l'action .

Dominé par la nécessité obsessionnelle de tout contrôler, Herbert ne peut s'empêcher de perlaborer à l'infini sur l'importance de chaque détail. Comment s'étonner alors que le livre soit hâché? Qu'un chapitre sur deux parle de Paul et que l'autre retienne l'attention du lecteur sur des propos d'importance secondaire?

Dans une oeuvre affranchie des règles romanesques telles que la continuité de l'action, il est inévitable de trouver des épisodes à la flagrante inutilité. Les séquences au cours desquelles les hommes d'armes du Duc, accumulent leur vengeance contre Jessica, pour à la fin du roman faire volte face en quelques brèves excuses, en sont une illustration.

Pourtant le plus grand défaut de Dune marque aussi son irréductible originalité. Arrakis est un monde fait en dentelles dont on peut admirer les fines guipures sous les éclairages les plus divers; mais ce ne sont pas des roses des sables figées pour les siècles des siècles. Plutôt qu'à la projection de clichés, Herbert nous fait assister à une gigantesque production d'un Lawrence d'Arabie de la science fiction...

S'il n'est pas innovateur en tant que faiseur d'univers, le précédent de Hal Clement et de Lee Gregor en témoigne, du moins l'auteur va-t-il plus loin que ses confrères dans l'extraordinaire minutie de ses constructions. Il semble même que l'oeuvre échappe aux mains de son créateur pour éclater en de multiples arborescences. La trame du récit se fond alors à l'arrière-plan pour faire ressurgir une gestalt.

Dune ne retrace pas tant les péripéties anecdotiques de la chute d'une dynastie que l'entrée d'un monde dans l'histoire. Qu'importe en fin de compte la lenteur de l'action ; les plats les plus succulents se savourent lentement...   Et nous ne sommes pas les seuls à nous délecter ; Gérard Klein n'hésite pas à dire que la trilogie Fondation d'Asimov ne soutient pas la comparaison avec ce roman...

Même les considérations scientifiques qui font l'ennui de bien des livres de science-fiction, véritables mirages de rationalité auxquels les meilleurs auteurs ne savent pas résister - le triste souvenir du Prélude à l'Espace d'Arthur C.Clarke (Fleuve Noir) s'impose à l'esprit- ne font qu'enrichir le texte. Et c'est là un tour de force.....


Peut-être, influencés par des lectures ultérieures, avons-nous, tout au long de cette première partie, insisté trop longuement sur les aspects discutables du roman ? C'est une impression qu'il nous faut enfin dissiper.

Dune sollicite l'engagemnt, provoque les commentaires les plus passionnés, s'impose comme un jalon dans l'histoire de la science-fiction. Dune est un chef-d'oeuvre incomplet...

Mais pourquoi faut-il que F.Herbert ait tenté d'achever une fresque qui se suffisait largement à elle-même? Comment peut-il croire que la Vénus de Milo ait besoin de bras? Que Dune appelle un Messie?

Tout rebondit douze ans plus tard. Le Jihad se termine avec les limites de l'univers. Paul est le Dieu et le dictateur d'un monde qui ne pourra jamais compter ses morts. Une coalition générale s'organise contre lui. Outre les ennemis séculaires que sont le Bene Gesserit et la Guilde Spatiale, de nouvelles forces se rangent sur les rangs, tel le Bene Tleilax, confrérie de savants amoraux qui ont accédé au rêve ancestral d'être à la fois homme ou femme suivant leur désir. Pratiquement, les ennemis sont dans les murs; même le Quizarate -ordre religieux qui vénère Paul mais qui a grand besoin d'un martyr pour que renaisse l'élan du Jihad- complote contre lui.

La mort est présentée sous la forme attirante d'un présent, que l'empereur, par défi, accepte. Grâce à des méthodes inconnues les Tleilaxu ont fait revivre et conditionné Duncan Idaho, homme de confiance du Duc mort à la fin du premier roman, modèlent un golem qu'ils nomment Ghola. Second cadeau mortifère dont la victime désignée n'est plus le père mais le fils....

Car il ne suffit pas de sectionner la tête du monstre pour que la bête meure. Si bien que la façon de porter le coup de grâce n'est pas indifférente, chaque parti essayant de détourner cette mort à son seul profit .

Si le Quizarate est en quête de son petit martyr, la Guilde Spatiale souhaite tout simplement être débarrassée de Paul.

Le  Bene Gesserit rassemble ses forces pour que son plan  millénaire aboutisse malgré le sandale que l'union de Paul et Chani éternise. Ce qu'il faut éviter à tout prix, c'est que sa concubine ait un enfant, car seule Irulan, sa femme aux nuits vides, doit être honorée d'un tel privilège, et pour celà tous les moyens sont mis en jeu: depuis le contraceptif banal introduit dans la nourriture jusqu'au projet d'insémination artificielle de l'épouse délaissée. Si par malheur cela était impossible, on n'hésiterait pas à transgresser la loi fondamentale de l'inceste en favorisant l'accouplement de Paul et de sa soeur Alia .

Mais ces projets sont vraiment simplistes pour le Bene Tleilax qui a érigé la machination au rang de science. Avec juste raison, car Chani se rend compte que sa stérilité est artificielle, et, peu après avoir cessé de prendre sa nourriture anticonceptionnelle, elle attend un enfant. Hélas, cet heureux événement aura des conséquences tragiques: Chani mourra en mettant au monde des faux jumeaux.

Deux possibilités sont envisagées dont toutes les implications ont été explorées:

-Soit le Ghola réalise ce pour quoi il a été reconstruit et dans ce cas il sera proposé à Alia de faire revivre son frère en échange de concessions exorbitantes.

-Soit le miracle sans précédent advient: le Ghola retrouve son être premier et Duncan Idaho refuse de tuer Paul. Auquel cas l'empereur, maintenant conscient que l'irréalisable est du domaine des Tleilaxu, devra pour retrouver Chani abdiquer tous ses pouvoirs.

Si l'on voulait  caractériser ce roman, on pourrait dire qu'il illustre jusqu'à en faire une caricature la manière habituelle d'Herbert de structurer un récit.
A la limite, un lecteur pressé, uniquement préoccupé par l'histoire, peut très aisément faire l'économie d'une lecture intégrale en ne parcourant attentivement que les quelques premiers chapitres et les dernières pages. Car si F. Herbert expose dès le début les éléments constitutifs de l'intrigue, il ne la dénoue - et encore partiellement- que dans une fin qui elle, véritablement, demanderait des prolongements. Et en celà, en celà seulement, le Messie de Dune est bien la suite de Dune.

Mais le lecteur mentionné plus haut perdrait par cette méthode lapidaire ce qui fait d'Herbert un écrivain différent des autres.

L'auteur  agite devant nous ce qui, en dernière analyse, n'est qu'un épiphénomène: le complot. Aussi bien une lecture qui s'en tiendrait à l'action manifeste ne serait qu'une prise de faux.

Le leurre s'évanouit, et l'intérêt augmente, quand nous suivons Herbert dans le dédale de ses réflexions. Et ce qui est au centre de la structure secondaire de l'oeuvre, c'est bien le Paradis, la nouvelle Dune, ses retentissements sur la vie des Fremen.

Au commencement était le sable, une décade passa et ce fut le temps de l'eau. Ce qui n'était que légendes se réalise: des fontaines surgissent, des vergers signalent une nouvelle richesse, les fleurs partent à la conquête du désert. Dune devient la planète des miracles; une kermesse où se côtoient pélerins à la recherche d'on ne sait quelle révélation, marchands d'amulettes venus escroquer les pélerins, mendiants qui vivent aux crochets de tout le monde...

Ainsi Arrakis est devenue la "destination de chacun", centre d'où partent et aboutissent tous les chemins.

Mais la croyance selon laquelle la cité idéale comblerait tous les désirs s'effondre; une fois le Paradis atteint, il perd tout son attrait; aussi faut-il se créer un nouveau mirage. Déjà certains se prennent à rêver à l'ancienne Dune et même au désert primordial de la Terre à l'époque oubliée où l'on se déplaçait à dos de chameau.....

Cette nostalgie des origines s'empare même des plus puissants: Paul se préoccupe du mythe de l'aube des temps: "Avez-vous jamais étudié l'âge d'or de la Terre?" Sa soeur Alia regrette "le temps où l'on avait le temps", les anciens refuges, le bonheur perdu.

Ce qui exalte, c'est le Jihad, le parcours vers la "mer" que l'on se promet de connaître. Mais l'objet de cette quête n'est peut-être pas celui que l'on croit ; il reste opaque à la compréhension, malgré quelques indices: "la mère du chaos est née dans la mer". L'atteinte du but assigné n'amène que déceptions: ceux qui reviennent sur Dune portent des stigmates révélateurs tels que de multiples mutilations, voire la perte de la virilité... Alors ils se remettent à rêver....

Muab'Dib lui aussi a bien changé. La scène du drame n'est plus l'extérieur, c'est Paul, son monde interne, traversé de sentiments jusque là jamais exprimés.  Si, dans Dune , le héros était détourné de l'introspection par la constante attention qu'il devait concentrer sur ses ennemis, dans le Messie de Dune il devient la proie de ses tempêtes intérieures. La tonalité de sa vie psychique oscille entre la grisaille et l'obscurité complète. Il clame sans cesse une culpabilité dont les causes avouées cachent bien des craintes inconscientes: "Il se tenait là (...) isolé dans un péché qu'il ne pourrait jamais expier."

Il semblerait même qu'il prenne plaisir à se déprécier, à la limite à se détruire. Nous le voyons par exemple marcher seul vers un piège dont il sait pertinemment qu'il en réchappera vivant mais aveugle. Cependant son masochisme ne parvient pas à le défendre contre la terreur. Il en arrive à être une sorte de loque humaine que rien ne saurait réparer. On ne s'étonnera pas que Paul se détache de la réalité pour se lamenter ad nauseum sur la perte de sa lune. Il en vient pratiquement à trépigner,  ...devenant l'enfant  qu'il n'a jamais été...

Si Muab'Dib fait l'expérience de l'enfance, Alia accède à une maturité mouvementée. Elle apparaît aux yeux des masses avec les caractéristiques de la totalité: vierge et mère à la fois ; surnommée par ses ennemis l'"abomination" elle possède paraît-il le pouvoir de "restaurer la virilité". C'est elle maintenant qui montre le chemin...

Car Paul en serait bien incapable. devenu la marionnette d'un pouvoir qui le détient, il ne fait plus ce qu'il veut mais ce qu'il voit. Comme le héros de The World Jones Made de Philip K.Dick, l'empereur est condamné à réaliser ses visions. L'aliénation atteint un nexus quand, aveugle, il s'enfonce dans son univers illusoire pour ne prendre de la réalité que l'écho de son monde intérieur. Paul Muab'Dib est entraîné ainsi de perte en perte.. Après la lune, les yeux..., Chani ; et quand il ne lui reste plus que sa vie, il choisit enfin, et il choisit de mourir...

"Maintenant, je suis libre..." Libre? De se fondre dans le sable? D'être englouti par la mer?  ("On parlera de Paul en termes de mer" ). Non pas libre, mais libéré de la contingence humaine pour accéder à la plénitude dans l'imaginaire.

Et la mort devient l'autel de sa divinité. Par son sacrifice, le Messie apparaît maintenant aux yeux des autres comme la prochaine étape de la quête. Une quête  qui s'alimente de l'illusion fondée sur la croyance que Paul n'est pas vraiment mort. Alors commence une nouvelle recherche de l'être inaccessible....


Pour en revenir à des contrées plus prosaïques mais moins explorées - car il semblerait que la SF soit devenue ces dernières années une Olympe encombrée de dieux - nous allons maintenant établir 'la carte du Tendre' du monde herbertien. Encore qu'elle ne mérite pas ce nom. En effet, c'est d'un bien triste amour, et d'aventures bien compromises, qu'il est ici question. Si l'on faisait l'inventaire exhaustif des épisodes dans lesquels un sentiment amoureux est manifesté, il apparaîtrait clairement que, sous de multiples avatars, se révèle une même situation conflictuelle.

Tout irait bien si l'amour pouvait ne pas exister. Mais  les dimensions de l'être ne peuvent se réduire à l'activité d'une pensée qui tourne sur elle-même. Alia tente bien de faire taire la chair en s'adonnant à des plaisirs substitutifs lorsqu'elle se bat nue, en duel contre un adversaire artificiel, mais elle avoue ensuite se sentir "moite, mélancolique..". Et là transparaît encore le besoin obsessionnel de se débarasser des miasmes apportés par un acte sexuel, même imaginaire. S'éprendre du Ghola représente probablement pour elle une chance inespérée de satisfaire son désir ; car cet être qui revient du pays des morts et qui la traite comme une petite fille ne peut manquer de lui rappeler celui qu'elle n'a pas oublié. Un père qu'elle connaît "dans les plus petits détails des expériences que (sa mère) a partagées avec lui ...". Les rapports incestueux ne sont d'ailleurs pas exclus puisqu'il est question à plusieurs reprises de favoriser l'accouplement de Paul et de sa soeur: en témoigne encore plus cette image dégressive: "l'empereur et sa soeur accolées dos à dos forment un seul être à moitié mâle et à moitié femelle".

Mais si l'empereur examine avec bienveillance l'idée d'avoir des relations sexuelles avec Alia, il recule pendant longtemps à la suggestion qu'il pourrait donner un enfant à sa femme. Puis succombant aux récriminations  qui s'accroissent  à mesure que s'accentue la frustration d'Irulan, Paul consent à sacrifier quelques gouttes de son précieux sperme. Toutefois ce don ne va pas sans un certain sadisme: " Vous pourrez avoir ma semence mais pas ma personne."

Là même ou un semblant d'amour unit deux êtres, l'entente est difficile à établir. Comment serait-elle possible quand Paul, au lieu de prêter attention à sa concubine, s'absorbe dans la contemplation d'un trou dans le tapis! De toute façon, les sentiments, s'il y en a, s'effacent toujours derrière les nécessités royales ; et l'empereur n'est déjà plus un humain quand il préfère garder ses pouvoirs et perdre Chani...

Quand l'art d'éviter les poisons n'a d'égal que celui de fuir les relations humaines, s'établit le règne de l'aseptie; un univers stériel où l'on erre vainement en quête de quelque aventure.

Si Dune était un Lawrence d'Arabie de la SF, le Messie de Dune se perd dans l'ennui d'un Mort à Venise asséchée... Bien heureusement, ce deuxième roman occupe moins de pages que son prédécesseur, mais celles-ci semblent s'étendre démesurément.

Celui qui entreprend le voyage trouve quand même, comme dans tout désert qui se respecte quelques oasis qui  viennent rompre de mornes étendues.

Les oasis, ce sont les épisodes où le Bene Tleilax brise le champ de la parole pour le transformer en champ de bataille. Ou encore les lignes au cours desquelles Paul est aveuglé par une arme qui semble n'avoir été inventée que pour ce seul usage.

Les mornes étendues, ce sont les palabres inutiles. L'entrevue de Paul et d'un représentant de la Guilde où questions et réponses semblent suivre une logique folle, est comme un monument couvert de hiéroglyphes qui n'ont de signification que pour leur auteur : "certains disent ... que les gens s'accrochent au pouvoir impérial parce que l'espace est infini".

Il ne faudrait tout de même pas s'imaginer qu'Herbert balbutie des phrases sans suite. Au contraire, peu d'auteurs font  montre d'une telle capacité d'analyse ; qualité qui ne manquera pas de séduire les amateurs (ou les professionnels) de la  pensée scientifique. Ceci dit bien que, dans le Messie de Dune, cette pensée se pervertisse pour rechercher on ne  peut plus minutieusement les indices de "complots à l'intérieur de complots"...

Mais si Frank Herbert est passé maître dans l'art des exégèses, il échoue à réaliser le but premier de tout romancier qui est (encore) de susciter et maintenir la curiosité du lecteur. L'erreur commise est de trop en dire au début, de trop en faire à la fin. Ainsi, dans ses romans, n'est jamais atteint l'équilibre entre l'analyse des situations et le déroulement de l'action.

Nous avons le sentiment que l'auteur examine sa création du point de vue de Sirius. Pour lui, le roman n'est rien d'autre qu'une machinerie aux multiples rouages dont il se plaît à tester le fonctionnement. En bon ingénieur Herbert consacre des années à fignoler son oeuvre, mais il ne consent pas à s'y impliquer comme le fait manifestement Daniel Keyes dans Des Feurs Pour Algernon. Et quand ce dernier se livre, il entraîne dans un même mouvement le lecteur à vivre à l'intérieur du texte.

Le Messie de Dune ne produit pas cet impact ; il intéressera pourtant ceux qui aiment les études de cas... Ils sont nombreux à n'en pas douter car Dune et Le Messie de Dune comptent parmi les livres de science fiction les plus vendus aux Etats-Unis.

En publiant Dune, la collection de Gérard Klein avait permis au grand public de porter à ce nouveau classique l'attention qui lui était due. Avec le Messie de Dune, "Ailleurs et Demain" (n'en déplaise aux esprits chagrins) rend justice à l'oeuvre maîtresse de F. Herbert. Car même si Dune est de très loin la pièce principale de l'édifice, il n'en reste pas moins qu'il est toujours préférable de connaître l'intégralité de la production. N'avons-nous pas pleuré pendant dix ans pour pouvoir lire la suite de Fondation que le 'Rayon Fantastique' s'obstinait à ne pas publier ?

Dresser un bilan de l'apport herbertien à la littérature de science fiction laisse apparaître l'importance de sa contribution.
Pour en fixer les grandes lignes, disons que du point de vue technique le style de l'auteur, élaboré, réflexif, secondarisé à l'extrême est le reflet du langage de l'intellect. Cela confère aux romans une texture serrée, aux personnages une réelle complexité.

Toute qualité se développant au détriment d'une autre, la construction laisse à désirer. Et si cela n'est pas gênant dans Dune , il en va tout autrement avec un livre moins riche comme le Messie de Dune.
Du point de vue contenu, une des originalités de ce cycle est d'envisager la forme que prend le fanatisme quand religion et politique viennent à se confondre. Avec les tests relpols, Philip K.Dick aborde un thème similaire dans The simulacre (Ace Books-1964) mais c'est dans une optique très différente non plus tant sociologique qu'individuelle .

Un autre intérêt de l'oeuvre réside dans la myriade de préambules, les annexes, l'index et la carte qu'Herbert y a insérés. Ici, on ne peut encore qu'admirer le sérieux avec lequel il conçoit son métier d'écrivain.
C'est ce côté méticuleux que nous souhaiterions retrouver dans la suite annoncée au Messie de Dune, en espérant - sans trop y croire car les suites subissent habituellement la loi de l'entropie- ne jamais plus être confrontés avec ce que nous serions tentés d'appeler la tendance soporifique de Frank Herbert.

Ainsi, au neuvième jour, serait peut-être achevé une création qui, au huitième, semblait bien partie pour proliférer à l'infini. Alors  la preuve serait  faite que le démiurge n'est pas un apprenti sorcier...



Cet article, critique au plus haut point, nous montre comment fut reçue l'oeuvre dans le contexte où elle est sortie. Je ne suis pas d'accord avec beaucoup de points, mais il faut lui reconnaître la qualité d'analyse de l"Intelligencia" SF française de l'époque, qu'on ne trouve plus aussi approfondie de nos jours.
L'art est un travail ingrat,
mais il faut bien que quelqu'un le fasse.