Concernant la disparition des Harkonnen en tant que dynastes, c'est-à-dire potentiellement appelés à s'emparer du trône du Lion, je suis frappé par les parallèles que l'on peut établir avec l'histoire de Rome.
Sans aller jusqu'à conseiller de (re-)lire Tacite & Suétone, je me souviens d'avoir adoré un livre de l'historien américain Ronald Syme, "
The Roman Revolution" (
trad.fr.). L'ouvrage est ancien (1939), historiographiquement dépassé, mais quel style flamboyant, quel souffle ! Une histoire de familles qui se haïssent et s'exterminent jusqu'à ce qu'une seule survive. On ne fait plus des ouvrages de ce genre, à la fois très littéraire dans la narration (ça se lit avec bonheur) et capable de s'élever à un certain degré dans le jugement que ne renieraient pas les moralistes du Grand Siècle :
À l'origine, des rois gouvernaient à Rome et pour finir, comme le destin l'avait voulu, Rome revenait à la monarchie. La monarchie apportait avec elle la concorde. Pendant les guerres civiles, chaque parti et chaque chef faisait profession de défendre la cause de la liberté et de la paix. Ces idéaux étaient incompatibles. Quand la paix vint, ce fut la paix du despotisme. Cum domino pax ista venit.
Tout cela m'a évidemment remis en mémoire le livre de Yourcenar, des séries TV comme
I Claudius ou
Rome ... et surtout un historien britannique du 18° siècle dont j'avais dévoré il y a bien longtemps le
Decline and Fall dans la traduction de Guizot (rééditée chez Bouquins). Je n'ai jamais retrouvé Syme dans la bibliothèque d'Herbert, mais Gibbon y figurait en bonne place. Chose qui ne m'étonne guère sachant l'influence incroyable de ce livre d'Histoire (j'ai failli écrire "livre d'histoires") chez les Anglo-Saxons. Churchill, paraît-il, en récitait par coeur des pages entières. Asimov, Heinlein, Cordwainer Smith, Herbert ... tous l'ont lu, si j'en crois un brillant petit article des
SFS sur le concept d'
empire galactique. Chez Herbert j'imagine aisément que les passages diablement polémiques sur l'influence de la religion chrétienne sur le déclin de Rome ont eu leur petit effet.
Je dérive comme un iceberg quand je blablate .... Oui, Gibbon, "dévoré" par Churchill, lu par Asimov et caricaturé par
Star Wars, s'était étonné de la disparition de ces terribles familles dont les luttes de pouvoir, les massacres et la débauche avaient fait la joie des annalistes romains. Octave se faisant Auguste et pacifiant la République (oups! l'
Imperium), tous ces noms s'évanouirent comme si 5 siècles de luttes n'avaient jamais existé. Passé Actium, on ne voit plus que des fantômes, des noms "anonymes" dans des fastes consulaires vidés de leur substance, des figurants dans un théâtre monopolisé par l'alliance des
Julii et des
Claudii ... Et puis, de temps à autre, notamment à la faveur d'une succession, on les voit revenir, complotant et s'agitant désespérément, attirés par la vaine lumière d'un pouvoir qui leur est depuis longtemps fermé.
C'est un beau motif littéraire en soi que celui des familles déchues, vivant dans l'éternel espoir de leur retour. Mais, pour le narrateur, un personnage n'est pas plus sacré qu'un lieu, un groupe ou une institution.
Les Harkonnen et les Corrino disparaissent avec l'Imperium féodal. L'Empire Atreides n'est le successeur de cet Imperium que par la forme (la titulature, l'union avec Irulan, l'apparent maintien des féodaux et des écoles). À la vérité, l'Empire Atreides tient plus du Califat ottoman que du Saint Empire romain germanique. Il ne s'agit pas que d'un simple déplacement du siège du pouvoir de Kaitain vers Arrakis. C'est une révolution dans la géographie et l'exercice du pouvoir. Il n'y a plus d'autonomie, il n'y a plus de géopolitique, il n'y a plus d'espace pour quelque opposition que ce soit. L'Univers connu est quadrillé par l'appareil jihadiste. Une idéologie unique s'impose à tous. La Guilde et le BG sont brisés et insidieusement modifiés. Ce que Paul initie dans le doute et la peur de l'inconnu, l'Empereur-Dieu le systématise et l'inscrit dans la longue durée terrifiante de son règne. Pensez donc ! Un tyran dont le règne équivaut à celui de la civilisation égyptienne ....
Les Harkonnen disparaissent donc de la scène, non par le hasard de la biologie (on peut imaginer des lignées cadettes s'enfonçant dans l'oubli) mais par la contingence et la nécessité du politique. Ils ont eu leur carte à jouer, ils ont perdu, ils disparaissent. Ne restent que leurs gènes. Par contre les Atréides gagnent et fécondent tout un Ordre. Je n'en dis pas plus. Les 2 derniers tomes du Cycle expliquent bien le changement d'échelle, comme l'histoire de la petite tribu d'Abraham est devenue celle d'un peuple entier ...
Des Harkonnen, rien ne reste, pas même les noms (Giedi Prime devenue Gammu), à peine la mémoire diffuse.... Seuls les gènes continuent à s'exprimer :
Teg had seen many planets, learned their ways and how they printed themselves on their inhabitants. Some planets had a big yellow sun that sat in close and kept living things warm, evolving, growing. Some planets had little shimmer-suns that hung far away in a dark sky, and their light touched very little. Variations existed within and even outside this range. Gammu was a yellow-green variation with a day of 31.27 standard hours and a 2.6 SY. Teg had thought he knew Gammu.
When the Harkonnens were forced to abandon it, colonists left behind by the Scattering came from the Danian group, calling it by the Halleck name given to it in the great remapping. The colonists had been known as Caladanian in those days but millennia tended to shorten some labels.
Teg paused at the entryway to the protective revetments that led from the field down beneath the Keep. Taraza and her party lagged behind him. He saw Taraza was talking intently to Odrade.
Atreides Manifesto, he thought.
Even on Gammu, few admitted to either Harkonnen or Atreides ancestry, although the genotypes were visible here -- especially the dominant Atreides: those long, sharp noses, the high foreheads and sensual mouths. Often, the pieces were scattered -- the mouth on one face, those piercing eyes on another and countless mixtures. Sometimes, though, one person carried it all and then you saw the pride, that inner knowledge:
I am one of them!
Gammu's natives recognized it and gave it walkway room but few labeled it.
Underlying all of this was what the Harkonnens had left behind -- genetic lines tracing far away into the dawn times of Greek and Pathan and Mameluke, shadows of ancient history that few outside of professional historians or those trained by the Bene Gesserit could even name.
Teg avait vu dans sa vie beaucoup de planètes. Il avait appris leurs coutumes et la manière dont elles imprégnaient leurs habitants. Certaines jouissaient d?un gros soleil jaune toujours à proximité, qui baignait de chaleur et faisait évoluer et grandir tout ce qui vivait. D?autres n?avaient que de chétives étoiles scintillant du haut d?un ciel noir, émettant une pauvre lumière qui ne touchait presque rien. Entre les deux, et même en dehors, d?innombrables variations existaient. Gammu était une variété jaune-verte avec une journée de 31,27 heures standard et une orbite de 2,6 a.s. C?était une planète que Teg avait cru connaître parfaitement.
Lorsque les Harkonnen s?étaient trouvés forcés de l?abandonner, des colons de la branche danienne, reliquats de la Dispersion, étaient venus l?occuper en l?appelant Gammu, nom que lui avait donné Halleck à l?occasion du grand remaniement cartographique. À l?époque, ces colons s?appelaient des Caladaniens, mais les millénaires ont parfois tendance à raccourcir les noms.
Teg s?arrêta à l?entrée de la rampe qui conduisait dans les étages inférieurs de la Citadelle. Il vit que Taraza et les autres traînaient le pas. La Mère Supérieure était en train de parler
gravement à Odrade.
Le Manifeste des Atréides, songea-t-il.
Même sur Gammu, peu de gens se réclamaient de la lignée des Atréides ou de celle des Harkonnen, bien que les génotypes fussent visibles partout et en particulier celui, dominant,
des Atréides : long nez pointu, front haut et bouche sensuelle. Souvent, les morceaux étaient dispersés : la bouche chez l?un, les yeux perçants chez l?autre, avec d?innombrables mélanges. Mais il arrivait qu?une seule personne réunisse tous ces traits. On la voyait alors fière de cette certitude intime :
« Je fais partie d?eux ! »
Les natifs de Gammu reconnaissaient cela comme une supériorité devant laquelle ils s?inclinaient, mais peu d?entre eux lui donnaient un nom.
A côté de tout cela, il y avait l?héritage des Harkonnen. Les lignées remontant aux temps perdus des Grecs, des Pathans et des Mameluks, ombres d?une histoire ancienne que seuls quelques rares spécialistes ou étudiants formés par le Bene Gesserit pouvaient encore évoquer.
HÉRÉTIQUES - CHAPITRE XV
Ce passage écarte la possibilité d'un règne ou d'une régence Harkonnen post-Feyd, du moins sur Giedi Prime. Il n'est pas impossible qu'un reliquat de pouvoir Harkonnen ait pu exister un certain temps, mais le Jihad l'aurait, dans cette hypothèse, balayé à un moment ou un autre. Je n'ai pas idée de la datation du "grand remaniement cartographique". Je suppose qu'il s'est fait sous le règne de Paul ou au début de celui de Leto vu que Halleck en est le maître d'oeuvre (...
mais je me trompe peut-être, le passage est un peu obscur car entre le remapping d'Halleck et le retour des Daniens de la Dispersion il se passe un LONG moment ... ce qui pourrait suggérer une longue survivance des Harkonnen ? ; si quelqu'un comprend mieux ^^).
Ne restent donc que les gènes et chez certains une forme de snobisme (et de prestige social) un peu à la manière des
Chorfas (descendants du Prophète) en terre d'Islam.