L'Univers de Dune > Cycle de Dune par Frank Herbert

La génétique dans "Dune"

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Anudar:
Comme je le montrais dans mon article commis pour le compte d'ActuSF il y a quelques années, Dune est avant tout un roman de science-fiction... et pour me plagier moi-même, au sein de ce roman la génétique représente un continent. Le Kwisatz Haderach est le produit d'un programme de sélection génétique et le Bene Gesserit, suite à la bataille d'Arrakeen et à la victoire de Paul Atréides, passe environ cinq millénaires (et autant de volumes pour Frank Herbert) à gérer les retombées de la bombe par lui-même amorcée. Par ailleurs, les Tleilaxu disputent volontiers au Bene Gesserit le monopole des manipulations génétiques, leurs talents propres consistant surtout à produire des chimères voire à réanimer des morts - le second usage étant utilisé peut-être jusqu'à la corde par l'auteur de Dune.

Or, jamais Frank ne parle d'ADN au long du Cycle : certes, cette expression apparaît dans la continuation par Brian Herbert et Kevin J. Anderson, mais pas dans l'oeuvre originale.

La démonstration du statut de l'ADN comme support chimique de l'hérédité remonte à 1952, soit donc onze ans avant la première publication de Dune dans Analog. A l'époque, Frank Herbert est écrivain à temps partiel et journaliste le reste du temps : deux raisons pour lui de se documenter, d'autant plus qu'il échangeait littérairement avec d'autres auteurs de SF tels que Poul Anderson. Il est très improbable qu'il ait ignoré l'existence de l'ADN : on rappelle que les armes-laser font partie de Dune, alors que le premier maser est mis au point... en 1953. La question se pose donc de savoir pour quelle raison Frank a choisi de parler de génétique... sans parler d'ADN.

Elgg:
J'avoue que ma dernière relecture de Dune date un peu (mais j'ai décidé d'y remédier très prochainement, dès que j'aurais fini les quelques bouquins essentiels qui se sont empilés sur ma table de chevet...), de même que mes dernières leçons de génétique qui datent de mon passage à la fac...

Je n'ai pas d'explication magique pour l'absence du terme "ADN" dans Dune, et je ne sais pas pourquoi il y aurait plus "chair" à la place...

Ceci étant dit, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que l'ADN est contenu dans le noyau des cellules, me semble-t-il...
Cela dit dans une cellule, il n'y a pas que le noyau (au moins, avec "chair", on prend tout... ^^'), pas que l'ADN classique non plus. Les mitochondries abritent l'ADN mitochondrial (ou ADNmt), qui a la particularité intéressante d'être transmis par votre mère. Et sa mère avant elle. Bref, on a tous l'ADNmt de nos aïeules.
De là à faire un parallèle avec une habileté Bene Gesserit de libérer les mémoires secondes des ancêtres féminines, je ne sais pas, je n'ai pas vraiment réfléchi à la question plus que ça...

Anudar:
Si le rôle de l'ADN dans l'hérédité était suspecté depuis les années 30, la démonstration définitive est faite en 1952 (transfert horizontal d'ADN). L'origine endosymbiotique des mitochondries (comme celle des plastes chez les êtres vivants qui en possèdent, tels que les végétaux) n'est plus une hypothèse mais un fait à présent démontré par l'étude précise des génomes mitochondriaux (qui sont de type eubactérien).

La génétique dans Dune ignore l'ADN : pour moi, cela tient de l'intention de la part de Frank Herbert. La mémoire génétique - celle des Révérendes Mères comme celle des gholas éveillés - semble difficile à justifier si on la suppose liée à l'ADN, en réalité : la moitié du patrimoine génétique d'une Révérende Mère provient de son père et dans ces conditions, comment expliquer qu'elle n'ait accès qu'à sa mémoire seconde en lignée maternelle ? Cela ressemble en effet à une hérédité mitochondriale... Par ailleurs, la mémoire du ghola éveillé - telle que celle du dernier Duncan Idaho dans Les Hérétiques de Dune et La Maison des Mères - est liée à la chair : ce dernier ghola est une mosaïque cellulaire de tous ses prédécesseurs. Or les différences entre les versions successives des gholas Duncan sont faibles, puisque tous répondent identiquement au stimulus éveillant leur mémoire génétique (à savoir, l'ordre de tuer un être cher).

Mon hypothèse est que Frank Herbert n'appréciait pas les possibilités offertes par la molécule d'ADN dans le cadre de son projet littéraire. Je pense qu'il était plutôt séduit par le concept de plasme ("matière" biologique) présent dans les termes "cytoplasme", "hyaloplasme"... voire dans l'expression "plasme germinatif", la lignée germinale s'individualisant de façon précoce au cours du développement embryonnaire. Pour moi, Frank pariait sur l'existence d'un "plasme-mémoire" au sein des cellules vivantes, que les pouvoirs de la Révérende Mère, d'un ghola éveillé ou du Kwisatz Haderach auraient été capables d'activer. Je crois que les découvertes récentes sur l'impact d'un traumatisme à plusieurs générations de distance l'auraient fasciné, en ce sens qu'il y aurait trouvé une confirmation de ses propres idées.

Quant à savoir comment il pouvait expliquer que la mémoire seconde du KH puisse être absolue (lignée maternelle et paternelle) quand celle de la Révérende Mère est linéaire, je me le demande encore...

Anudar:
Attention, je n'ai pas dit que Frank Herbert était un visionnaire et avait imaginé avant tout le monde des hypothèses finalement vérifiées. Il existe des observations récemment faites chez l'animal montrant que dans certains cas, certains traumatismes laissent des traces à plusieurs générations de distance - et ce sans l'intervention d'une quelconque forme de culture ou d'apprentissage - mais on est très loin de la mémoire seconde à laquelle Frank rêvait.

Il Barone:
Peut-être parce que l'ADN est l'avatar "matériel" de l'héritage génétique et que Frank pensait peut-être (comme votre serviteur) que l'ADN n'explique pas tout. Dans ce sens "l'épigénétique" est effectivement une piste, mais je pense qu'elle n'est pas la seul composante exotique définissant un individu. Je n'utiliserais pas le terme d'âme, pour ne pas être confondu avec un mystique. La science et la mécanique quantique n'expliquent pas encore tout.

Lorsque le Bene Gesserit entame son projet de Kwisatz Haderach, personne ne sait quel est réellement son objectif.

Certes Frank Herbert explique cet objectif par la voix de l'une de ses représentante, mais dit-il pour autant la vérité au lecteur ? Ce ne serait pas la seule fois ou Frank ment. Cette représentante sait-elle, réellement ce qu'est ce projet ?

Le projet du Bene Gesserit est peut-être la reconstitution/rejuvénation d'une lignée (les Atrides). Quitte à initier une étude du passé pour servir à des projets futurs, autant le faire avec un individu qui peut remonter jusqu'à l'antiquité.

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