En effet j'ai eu occasion d'en discuter par messages interposés sur facebook le temps de parvenir à m'inscrire ici.
D'après ce que j'ai compris, et je remercie Askaris pour ces précisions lors d'échanges privés, il s'agit de compléments plus ou moins officiels, plus ou moins inventés par un groupe d'auteurs. Ionah a d'ailleurs travaillé dans son post précédent la recherche de l'auteur de cette entrée.
Bon, le problème de cette entrée reste son aspect très fantaisiste. Certains apprécieront car après tout nous sommes dans de la "science-fiction", d'autres comme moi très portés hard-SF ou tout simplement par déformation professionnelle tiqueront devant le manque de rigueur, les contradictions et l'absence de réflexion plus poussée.
Les problèmes sont multiples, outre l'incohérence des propos scientifiques, certains passages sont des non-sens. Je pense notamment aux poids moléculaires sans unités qui ne veulent strictement rien dire. Les choix des biomolécules utilisées sont amusants, mais sans plus. La description structurelle de "proteoglycan-heme derivatives of cinnamic acid" a de quoi faire sourire et ne tient pas longtemps la route. L'épice est obtenue à partir de la fermentation et maturation de déjections de truites des sables, or cette proposition de Dune Encyclopedia a l'allure de composés membranaires ou extra-cellulaires complexes fonctionnels. Cela n'a pas de sens, les truites des sables partent en lambeaux ? De plus, l'air d'Arrakis est saturé d'épice, si je me souviens bien. Or un bon composé organique volatile (COV) est soluble dans un solvant organique, c'est donc une molécule déjà plutôt apolaire. Mais certainement pas soluble dans l'eau - et hydrophile. Or les protéoglycanes ont tendance à se gorger d'eau. Leur choix n'est pas logique, et contredit de plus mes notes suivantes sur les processus biogéochimiques à l'origine de l'épice. Je pense qu'au vu de l'importance biologique des peptidoglycanes, des protéoglycanes et des sucres associés, de leurs connaissances et cours de biologie, les auteurs aient voulu taper "large" dans le choix de la biomolécule et de ses effets sur l'organisme. Mais ce choix est très, très, très discutable.
Concernant ces fameux protéoglycanes, ce sont donc des protéines auxquelles sont associées des polyosides (ou glycanes, bref des sucres). Sauf que les sucres y sont très majoritaires (jusqu'à 95% en proportion) par rapport à la portion protéique. Ce sont des constituants majeurs des tissus extra-cellulaires et très courants dans le corps humain : cartilage, cornée, ongles, peau, vaisseaux sanguins, etc. On appelle la partie sucre des protéoglycanes "glycosaminoglycane" car elle correspond à une catégorie de sucres de structure et de propriétés particulières. Il ne faut pas les confondre avec les peptidoglycanes (ce que fait hélas la figure et même wikipedia), qui eux sont des peptides (petits assemblages d'acides aminés) reliés à des sucres tout aussi majoritaires. Vous me direz, quelle est alors la différence entre protéines et peptides ? Le nombre d'acides aminés les composant : < 100 pour les peptides. Ces biomolécules sont produites par les cellules, la partie protéique par transcription et traduction d'un gène; les sucres rajoutés dans l'appareil de Golgi, un compartiment cellulaire particulier. Bref, ce sont des composés qui sont produits et non obtenus par dégradation. Or, avec des hydrolyses (voir points suivants) dans les processus d'obtention de l'épice, on détruirait le protéoglycane (surtout si l'eau est acide, certains éléments me laissent penser que oui).
Bon, il y a beaucoup de choses à critiquer encore, je ne veux pas faire pour autant un cours de biochimie car ce n'est pas le but de mon intervention. Je pense que cette entrée de la Dune Encyclopedia est un amusant délire, probablement fait par des scientifiques alors étudiants ou jeunes professionnels plein d'imagination. Ce n'est pas un tort, lorsque j'étais en licence j'adorais inventer des macromolécules biologiques avec tout plein de précurseurs et motifs existants. Mais je pense que l'on peut faire mieux, beaucoup mieux que cette entrée. C'est ce que je me propose de faire.
Cependant, il faut éclaircir certains points. Ce que je souhaiterais, c'est avoir votre avis d'experts du cycle sur ces points, afin de les corriger si besoin est, puis de m'en servir comme indice pour vous proposer ma propre "expertise" :
- La structure de l'épice n'a pas été entièrement élucidée. Sa synthèse non plus. Le premier cas est intéressant, il y a-t-il des allusions faites aux raisons de cet échec dans le Cycle ? Cela semble surprenant, mais on peut retenir l'idée, pourquoi pas. Il arrive encore aujourd'hui que certaines structures posent problème à la chimie moderne. Second point, sa synthèse. Là c'est très crédible, car beaucoup de biosynthèses (synthèses naturelles) sont chimiquement impossibles à reproduire en l'état de nos connaissances actuelles. Et n'oublions pas que l'on parle de xénobiochimie, donc un vaste champ des possibles en SF.
- L'épice subit une maturation à partir des déjections de truite des sables, pouvez-vous me confirmer ces infos trouvées sur le
wiki : "Dans la poche se produit alors une réaction entre l’eau et les déjections des truites qui produirait le mélange. À terme, la poche devient composée uniquement de dioxyde de carbone et d’épice." Il est possible d'envisager des réactions enzymatiques puis chimiques dans un tel processus, et décarboxylation libérant le CO2. Mais clairement je souligne à nouveau le fait que l'eau est éliminée de l'environnement moléculaire au cours du processus.
- Que savons-nous de la bière d'épice ? Je suppose qu'il ne doit pas s'agir de bière brassée avec que de l'épice, au vu des prix du mélange j'imagine même pas le prix final de la pinte de bière. En gros, on en rajoute un peu dans la bière ? Pendant la fabrication de la bière ? Je n'ai pas assez de souvenirs non plus sur le café d'épice, enfin quelques points liés à KJA et BH, donc cela m'intéresserait de revenir aux sources sur ce point aussi
- Enfin, la question de l'hème cuivreux. Je ne suis pas étonné de l'idée, mais elle n'est pas optimale. J'ai une solution plus pertinente qui en plus permet de régler la question de la présence d'acide cinnamique et de ses dérivés. D'une pierre deux coups.
- Les effets biologiques de l'épice sont probablement liés à la dégradation et la métabolisation de la substance dans l'organisme. Les explications proposées sont très liés aux cours de biologie cellulaire que les auteurs avaient du avoir, il y a beaucoup d'autres choses envisageables, avec celles-là ou d'autres, ce n'est pas vraiment là le souci.
Voilà mes premières remarques, je suis allé un peu plus loin sur FB mais je resterai plus modeste ici. En vérité, le sujet m'intéresse et je me propose d'en faire un billet de scientifiction sur mon propre blog en proposant quelque chose de plus "abouti" que la Dune Encyclopedia. Je ne pense pas proposer une molécule entière, ce serait trop prétentieux et contredirait le fait qu'on connaisse pas sa structure exacte (en attente que vous me confirmiez ou non ce point). Mais plutôt éclaircir ce qui pourrait l'être au vu des indices, de la chimie organique et de la biochimie.
Ha, j'oubliais. Il est possible que certains points soient éclaircis dans les appendices des livres. Etant loin de chez moi, je n'ai pas moyen de le vérifier
J'ai donc besoin de votre précieuse aide. Enfin, je crois qu'un article a été aussi proposé dans
Bifrost. Pareil, je ne l'ai pas sous la main
Dans l'attente de vous lire,
Guillaume44