Avant toute chose, je voudrais te remercier. Que dans ta grande magnanimité, tu daignes accorder ta présence dans une discution se rapportant à Dune est un évenement exceptionnel (ça vaut aussi pour d'autres, je ne citerais pas de noms), c'est un geste rare ici, et d'une grande bonté auquel, étant relativement nouveau, je suis très sensible...
Je te fais une promesse solennelle cher Mait : bientôt s'ouvrira un lieu où ne seront habilités à s'exprimer que ceux qui voudront bien parler de l'
Hexalogie de Dune et de rien d'autre. Nous relirons les plus de 300 chapitres du Cycle, un par un. Nous re-questionnerons les personnages, les institutions, les idées qui traversent cette oeuvre. Nous aurons à disposition des instruments dont tu n'as même pas idée. Comme dans tous les refuges OH, il n'y aura pas de place pour les Abominations, ni pour tout autre parasitage malvenu. C'est ma promesse pour les assoiffés de
Dune. Un nouveau départ, loin de ce capharnaüm. Je m'exprimerai là-dessus très très très bientôt

Hum... Hum... Hum... J'ai computé et voici mes conclusions: La première trilogie(Dune, le Messie..., les Enfants...) est un test écologique. Dune est une planète désertique sans végétations: inhospitalière. Les précédents propriétaires ayant "une planète d'origine" avec les mêmes traits, ils n'ont pas éprouvé le besoin "d'adapter" la planète à leur convenance, ils l'ont conservé comme telle. Mais voilà que de nouveaux propriétaire: les Atréïdes, venues d'une planètes "océanique" arrivent, et que font-ils? Evidement étant toujours opposés à la politique des Harkonnen à cause de la noblesse de leur coeur (ceci est ironique), les Atréides décident eux de rendre la planète "hospitalière" (rempli d'eau). Voici le résultat de ma computation: le test écologique a été un échec.
En d'autre mot je pense que FH avait voulu montrer dans la première trilogie que rendre "meilleur" un lieu "inhospitalier" n'est pas forcément la meilleur chose à faire. L'ombre de Geidi prime, n'était qu'un piège illusoire...
Test écologique perdu ? Oui, dans la mesure où la terraformation a mis en péril le monopole géopolitique & biopolitique qui sous-tendait le césaro-papisme Atréides. Mais si l'on considère que l'un des buts du
Golden Path était de briser en définitive l'aliénation induite par le cycle de l'épice, on peut considérer que le résultat final fut bénéfique. Je m'explique.
En fait, tout dépend de l'échelle de temps que l'on veut considérer. À l'échelle de quelques générations (entre Liet et les jumeaux) le projet de terraformation peut être analysé comme un formidable exemple de ténacité et de volonté humaine. Une illustration de la continuité et de la grandeur d'une entreprise de
restauration conduite génération après génération. À cette aune, Giedi Prime et le parasitage prédateur des Harkonnen semble le parangon de la gabegie industrielle et du mal développement capitaliste.
À l'échelle plurimillénaire de la vie de l'Empereur-Dieu, tout cela semble bien vain et présomptueux. Ce qui était ambitieux apparaît absurde, le génie humain tant célébré se fait
hubrys. Vaine gloriole que ces insectes humains prétendant jouer aux démiurges sans jamais peser les conséquences à très long terme de leurs actes... Oui, Frank Herbert est un auteur insaisissable. C'est quand on croit l'avoir compris qu'il se dérobe à notre analyse. Ce qui nous apparaissait comme un manifeste pour la durabilité dans les premiers tomes perd tout son sens dans les suivants. Rien ne résiste à l'absurdité du temps : les héros se brisent, les dynasties s'éteignent, les paysages disparaissent et jusqu'au nom même des planètes .... tout est irrésistiblement dissous par le temps. Nul besoin d'aller chercher une morale à l'Histoire, il n'y en a pas. L'Histoire n'a pas de "fin", elle n'a pas de "fins", elle se déploye indifférente à nos existences ridiculement éphémères.
Est-ce à dire que rien n'a de sens ? Non. Même si le "test" semble vain, même si la volonté de changement a conduit à la décadence (comme les fiers Arabes du désert ou les féroces Turcs de la steppe amollis par les loukoums et les byzantineries des harems), des hommes ont cru à leur génie. Ils ont fait ce que l'homme sait faire : changer le monde. Et c'est à ce titre qu'ils sont célébrés dans les derniers volumes du Cycle. C'est à ce titre que les Harkonnens sont exécrés à tout jamais.
Je ne sais pas si tu te rends compte à quel point le terme "despotisme hydraulique" pour qualifier les Harkonnen m'apparait ironique...
Je me souviens avoir donné un lien là-dessus. Quand FH fait référence à ce concept dans son interview de 1976, il désigne une chose précise. Il désigne à la fois un mode de production et un système de pouvoir qui en découle directement. La thèse de Karl August Wittvogel a suscité une énorme littérature et inspiré bien des fictions. Je laisse les plus curieux googler le nom. Disons simplement que le
despotisme hydraulique (dit aussi "oriental") repose sur l'asservissement de masses humaines considérables au service d'une structure étatique autoritaire et parasitaire. Dit comme ça le concept n'a pas de sens, il faut l'opposer à des systèmes antagonistes. Par exemple, dans un monde dominé par le secteur primaire, agricole, le despotisme "hydraulique" correspond aux empires du Croissant fertile et de Chine : d'immenses masses humaines mobilisées pour arracher à la terre aride ou aux terrasses précaires des rizières les ressources nécessaires à la subsistance commune. Le contraste est absolu avec les sociétés tribales (féodales) et pastorales de type indo-européen : la subsistance du groupe ne nécessite pas la mobilisation, le contrôle et la prédation verticale qui s'exerce dans les empires sédentaires.
Ce schéma grossièrement transposé dans notre univers fictionnel opposerait donc une économie de la prédation assise sur des fondations tyranniques à une économie de subsistance, auto-suffisante et indépendante des circuits globaux. On reconnaît là le schéma écologique développé par FH dans ses interviews des années 70 (et notamment celle de Plowboy).
Giedi Prime est un enfer productiviste, un désastre écologique, une prison à ciel ouvert, un modèle de prédation et de gabegie.
Le Baron a raison de souligner qu'à l'échelle des millénaires de tyrannie de l'Empereur-Dieu, l'autocratie, la concentration des pouvoirs, le monopole absolu des circuits économiques et l'omniprésence de ce pouvoir dans l'existence humaine ("totalitaire" au sens propre) fut une catastrophe bien pire encore que les rapines et la médiocrité parasitaire des Harkonnen. La Grande Famine n'est pas un hasard, elle découle de la déstructuration politique et commerciale (échanges/transports) suite à l'effondrement du pouvoir central. L'histoire chinoise (jusqu'aux années 60) ou celle de l'antique Egypte sont pleines de crises similaires. Un anti-modèle pour le libertarien écologiste si fier de sa ferme auto-suffisante de Port Townsend

Pour le reste, ce sont des extraits que tu avaist déjà utilisé sur d'autres discutions (prend la peine de te renouveler voyons!
), j'avais déjà eu le temps de cogiter dessus: il ne s'agit que de citations de personnes qui ont une haine vicérale ou génétique des Harkonnen, c'est évident que les termes qu'ils utiliserons pour parler de choses qui se rapportent aux Harkonnen ne seront pas très flatteurs. Ce qui est dommages, c'est que tu t'appuie beaucoup dessus.
Ta critique est tout à fait justifiée .... du point de vue historien

Évidemment, la fiction ne nous permet pas de croiser les sources comme le ferait un savant travaillant sur plusieurs archives. Nous ne disposons pas d'une
Histoire Harkonnen d'Arrakis ou d'
Annales de Giedi Prime qui permettraient d'adopter un point de vue plus nuancé. FH s'était pourtant amusé à concevoir une "Bibliothèque de Dune" où les témoignages et les écrits les plus contradictoires voisineraient sur les mêmes travées. Quelque part, et je te demande d'y bien réfléchir, la méthode de travail qui a inspiré McNelly et son équipe de rédacteurs de la DE était tout à fait fidèle au postulat de départ selon lequel le Cycle n'est pas le fruit d'un auteur omniscient mais le témoignage de plusieurs siècles d'écrits et de mémoires orales ou secondes compilées ... (je renvoye encore au débat sur le statut d'Irulan posé par KJA et la polémique qui s'en est suivie).
Conclusion : oui, les témoignages sont biaisés, mais même en en atténuant la portée, ils restent notre seule porte d'accès à la connaissance de Giedi Prime et de l'administration Harkonnen.
Faut prendre en compte un fait: au début du Cycle, les Harkonnen, sont riches, et les Atreides sont pauvres (et moins nombreux). Evidement les Astreides pour combler ce trou n'ont pas d'autres choix que de pratiquer une politique du "coeur" à base de propagande sur leurs "nobles vertues". Par contre Lorsqu'ils ont acquis du pouvoir et des hommes le changement s'est fait ressentir: certes ils fallait officiellement toujour les aimer, mais ne pas les aimer signifiait la mort... J'ai en tête des extraits ou des personnages de la "plebe" avaient frolé quelqu'un qu'il pensait être un Fremen (Paul), la terreur que je lisais étais vraiment pitoyable
Oui, Leto avait l'image d'un souverain "démocratique" : non pas qu'il tira son pouvoir du suffrage (on n'est pas sur Nabu) mais il s'est toujours plu à mettre en scène la loyauté et l'appui de ses sujets et serviteurs. Je ne vais pas questionner cette image qui demanderait -elle aussi- qu'on y travaille en profondeur, mais je reconnais que ce système a trouvé dans le culte de la personnalité des théocrates Atreides sa conclusion logique. Donc si tu veux me faire dire que le pouvoir Atreides conduisait inéluctablement au "despotisme", je dis OUI ... avec une nuance : "despotisme éclairé".
Je ne joue pas avec les mots. L'expression est bien connue, bien cernée et renvoye à toute une littérature (à googler si besoin). On ne peut comparer Pierre le Grand à Ivan le Terrible, Frédéric II de Prusse à Vlad Tepes ... Bien sûr, Pierre décapitait son propre fils et Voltaire nous a laissé un témoignage savoureux des "baguettes" de l'armée prussienne ... Néanmoins, la différence est substantielle entre des brutes épaisses emportées par le courant de l'Histoire et juste capables de reproduire des schémas hérités .... et les visionnaires audacieux du siècle des Lumières (tous deux bien imparfaits, j'en conviens).
Bon je reviendrais sûrement mieu argumenter plutard, mais je voudrais juste ajouter en dernier que le l'esclave Harkonnen dont ont nous a le plus parlé avec le plus de détails s'est être un... "Atreide" un étranger, de là à extrapoler du traitement des esclaves le sort des habitant de Geidi prime, oui, c'est possible, mais j'émets des réserves.
Je crois bien que les extraits dépassent de loin le seul cas de cet individu. La seule notice sur l'
inkvine montre assez combien cette institution était pratiquée à large échelle. La seule question est de savoir si elle était universelle ou si certains (les agents du système, leurs familles, un groupe social ?) en étaient protégés.