Auteur Sujet: Chapitre 08  (Lu 9319 fois)

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Chapitre 08
« le: avril 23, 2004, 01:44:13 am »
Kuntu saghidan fi shababi :
un oiseau tenu dans ta main
vaut mieux que deux vus dans l'arbuste
(ancien proverbe zensunni)

Qur'aan al-nahw
, Ibin Manzuur



   Des sites de récolte et d'habitations suplémentaires étaient créés et développés à un rythme impressionnant, à mesure que les immigrants étaient formés, puis affectés. Peu à peu, tout le périmètre de l'immense vallée menant d'Arrakeen à Carhag fut occupé.
Deux mois à ce rythme, et Toryn et les Entio au grand complet (du moins ce qu'il en restait) se retrouvèrent dans le bassin de Hagga. Ils avaient été logés dans des baraquements rafraîchis à l'occasion, à la sortie d'Absont, petite ville au nord-ouest de Carthag.

Les conditions de travail étaient honnêtes, comparées à celles des mines de Rossak, mais le climat décimait à un rythme affolant les Zensunni Rossaki. Trois mille étaient morts déjà, soit presque vingt pour cent des élus qui avaient embarqué pour Arrakis deux mois plus tôt, porteurs d'espoir de ce peuple qui avait déjà tant souffert sur Rossak ; et leurs ancêtres avant sur Bela Tegeuse.
Toryn savait que les Ishiai avaient essuyé des pertes également, mais moindres. Jacur lui avait fait parvenir un message dans lequel il évoquait sept cents morts, sur quatre-vingt mille ressortissants d'Ishia, soit même pas un pour cent.

Même si la latitude d'Absont offrait des températures plus clémentes, cette région n'était pas protégée des plus grosses tempêtes comme c'était le cas à Arrakeen cernée par de hautes falaises. Ici le vent du sud avait toute la place de se déployer, avec en plus la vallée comme rampe de lancement.

Le naib se sentait impuissant, et son autorité commençait à être menacée. Il comptait sur la volonté et la résistance légendaire de son peuple, le Misr, et sur la relative liberté qui s'ouvrait à eux. Il ne nous manque plus qu'à nous installer quelque part, à l'abri du soleil, des tempêtes et de ces monstres tout droit sortis d'un conte de la planète Ishkal. Il nous faut trouver aussi un moyen d'économiser l'eau.
Le savant des Entio, Khoren, ami fidèle parmi ses amis, lui avait dit que le corps de tout être vivant recelait de grandes quantités d'eau, et qu'il avait déjà l'idée d'un système spécial pour la récupérer. Il avait commencé à y travailler un mois auparavant, mais des agents de la Guilde avait "réquisitionné" le scientifique à leur service.
Lui seul était au courant de ce petit arrangement qui leur permettait plus de liberté de mouvement. C'est Khoren qui avait insisté pour que Toryn accepte, il avait apparemment une idée derrière la tête.
Mais Khoren ne revenait pas, et des Zensunni continuaient à mourir.
Quel gâchis, dans ce cas! Je ne peux pas interdire à mon peuple de suer par cette chaleur! En revanche, ces vers sont bien des êtres vivants. Si nous trouvions le moyen d'en attraper un...

   Le vent se levait et apportait du sable, soulevé probablement à des jours de marche, qui allait se déposer en partie ici. Ceux d'Ishia connaissaient ce phénomène et l'avait appelé el-sayal, pluie de sable. Les autochtones, principalement des exilés volontaires pour le compte de l'Empire, se dirigeaient tous vers le centre d'Absont. Une tempête était annoncée.
Il suivit le mouvement et reconnut la grande et fine silhouette de Hadik, un jeune homme fougueux dont le père lui avait sauvé la vie sur Rossak en perdant la sienne. Il avait fait le serment devant Abnan de le traîter comme son fils. Le vent commençait à projeter du sable sur les visages, et les capuches recouvraient à présent toutes les têtes. Hadik cheminait aux côtés d'une femme à la démarche grâcieuse et mesurée à la fois. Petite, mais athlétique. Avant même de l'avoir dévisagée, Toryn sut qu'elle n'était ni de son clan, ni d'ici.
Il se rejoignirent.
- Hadik! où sont ta mère et tes frères?
- Déjà à l'abri. Nous y allons aussi. Voici Marge, une jeune sayyadina d'Ishia, elle a décidé de nous suivre depuis Carthag.
Toryn inclina la tête, en même temps que la femme.
- Et pourquoi ça?
- Heu, en fait je lui ai proposé.
- Je vois. Jacur ne m'a pas parlé d'une sayyadina du nom de Marge.
- Je ne connais pas Jacur, répondit Marge, nous n'étions pas sur le même hémisphère d'Ishia. De plus, lors du rassemblement préalable au départ, je n'avais pas signalé que j'étais sayyadina. Hadik m'a dit que vous n'en aviez plus qu'une qui, de plus, souffre de déshydratation.
- C'est vrai, mais Hayami va tenir le coup.
Après un silence, il ajouta: Soyez tout de même la bienvenue parmi nous.

   Avec la tempête, la nuit sembla tomber plus tôt ce jour-là. C'était la fin du deuxième jour de travail sur le site de Hagga pour les Zensunni, et la population locale semblait déjà inquiète de cette invasion. Marge, accueillie par la famille de Hadik, fit sa petite enquête en questionnant sa mère et ses soeurs ou quelques femmes aux files de rationnement, et comprit très vite le problème : les Zensunni avaient droit à une ration d'eau quotidienne par personne, alors que les populations de volontaires rapatriés par l'Imperium étaient soumises à un autre régime et ne disposaient que de rations forfaitaires familiales, proportionnelles aux membres actifs. Elle qui était passée d'une communauté à l'autre aurait pu le remarquer si elle était venue en famille et non seule. Cette inégalité de revenus exaspérait les autochtones, pourtant très pacifiques par ailleurs.

A une heure avancée de la nuit, Marge constata l'accalmie des éléments et décida de faire un tour à l'extérieur avant de dormir. Les rues avaient été littéralement nettoyées par le vent, mais les tentes en dur, conçues pour résister à des tempêtes de ce genre, avaient toutes tenu bon. Elle déambula au hasard, jusqu'aux quartiers résidentiels où le plastabéton dominait au détriment des étendues de sable de la périphérie.
Je suis suivie.
Elle tourna dans une petite rue ou l'odeur omniprésente de l'épice était dominée par celle de déchets et d'excréments, puis se fondit dans l'ombre d'un renfoncement mural. Elle distingua l'homme encapuchonné à la clarté des deux lunes et avec une rapidité imparable, elle fut sur lui avant qu'il n'eut le temps de réagir, lui tordant un bras d'une main et lui pressant en même temps deux points douloureux au cou dont un, en accord avec l'art du prana-bindu, était mortel en cas de pression plus forte. L'homme était si grand, qu'elle devait se tenir sur la pointe des pieds. Elle affirma la pression pour le forcer à s'accroupir.
- Qui es-tu, et pourquoi tu me suis? Répond, ou meurs!
- Kull wahad! Marge, c'est moi Hadik. Lache-moi!
- Hadik? Je ne te lacherai que lorsque tu m'auras répondu.
- Toryn... Toryn m'a demandé de te surveiller. Il est sûr que tu n'es pas celle que tu prétends être.
- C'est tout?
- Oui, tu peux me tuer à présent, femme, je suis un homme à ta merci!
- Moi mettre fin à ta vie? Et si je t'offrais la vie sauve?
- Halal hu! Kull mansuj manfud!
C'est la loi, Tout tissage à une fin,
traduisit mentalement Marge. Me teste-t-il sur mes connaissances alors même qu'il risque la mort?
- Man yuta-shi wa-yaba-h yatlub wa-lis yuta'h, dit-elle avec un parfait accent ishiai, ce qui signifiait "celui qui refuse ce qu'on lui offre sera banni et ne se verra plus rien offrir".
Elle le lacha.
- Je t'offre la vie. Je ne te demande pas d'être mon maula, juste de m'accepter, de me faire accepter et de ne pas me questionner. Je veux aussi rencontrer votre sayyadina.

   Plus tard, en rentrant à leur tente, Marge questionna Hadik sur les tensions entre les ouvriers de l'Empire et ceux de la Guilde.
- Notre naib s'en est aperçu avant même notre départ d'Arrakeen, dit-il, il en a parlé à Jacur et lui a proposé de faire une requête sous forme de doléance à Edric, l'agent de la Guilde, pour qu'il règle la question en haut-lieu, avec le Siridar d'Arrakis, en alignant les rétributions des Zensunni sur celle des autochtones.
- Très généreux de la part de Toryn. Trop, peut-être.
- Jacur a refusé.
- Il a refusé? Pourtant les Ishiai souffrent moins de déshydratation que les Rossaki.
- Jacur a dit que ce contrat était déjà un minimum vital et que son peuple refuserait de céder cet acquis. Il a ajouté que c'est aux services de l'Empire de s'aligner sur le mode de rétribution de la Guilde.
- Et toi, qu'en pense-tu?
- Je crois que Jacur a raison. Mais ce n'est pas tout. Toryn est persuadé que quelqu'un fait en sorte que ces tensions montent, pour attiser la haine entre les deux clans.
- Il a des preuves, ou au moins des présomptions?
- Je l'ignore.
- C'est une théorie très probable, en tous cas. Mais je ne suis pas ce quelqu'un.

Ils étaient arrivés à la tente. Avant d'entrer et de se séparer, Hadik ajouta en murmurant :
- Marge? Même si nous ne connaissons pas exactement les mêmes usages que sur Ishiai, je doute, moi aussi, que tu sois une simple sayyadina.
- Pas de question!
Elle le fixa un instant en silence dans les yeux, avant d'ajouter:
- J'en étais une, mais j'ai eu la chance de beaucoup voyager, contrairement au reste de mon peuple. Nul ne doit savoir.

L'art est un travail ingrat,
mais il faut bien que quelqu'un le fasse.