PLOWBOY : Essayez-vous, dans votre vie, de garder un fil cohérent entre vos paroles et vos actions ?
HERBERT : Absolument. Je vous ai déjà dit que les liens familiaux sont très importants pour moi et que nous avions quitté le pays pour pouvoir enseigner à nos propres enfants. Il y a également eu des années - quand nos enfants étaient plus jeunes - où Bev, ma femme, ramenait l'argent à la maison. Elle allait au bureau et en ramenait un salaire, tandis que je restais à la maison pour faire la cuisine, la lessive et les tâches ménagères ... je m'occupais des enfants ... et je travaillais à mes projets d'écriture.
Nos enfants ont grandi maintenant, mais je participe toujours aux rituels familiaux. Par exemple, ma nièce m'a appelé hier dans la nuit et j'ai dû déplacer un rendez-vous pour descendre à Eugene, dans l'Oregon ... car c'est là-bas qu'elle sera diplômée.
Je pense aussi fortement - et j'agis selon mes sentiments - que les individus devraient suivre leur propre voie pour être plus indépendants et diminuer leur impact sur notre environnement.
PLOWBOY : Qu'avez-vous fait pour vivre cette croyance ?
HERBERT : Avez-vous vu le capteur solaire sur le côté de la maison ? C'est ce qui chauffe notre maison. A l'époque, je ne m'étais pas dit que j'attendrais que nous puissions obtenir toute notre chaleur, tout le temps, de l'énergie solaire ... ou que la construction du capteur perturberait les belles lignes de la maison déjà construite ... ou que je ne le construirais que lorsque nous pourrions inventer une façon de stocker la chaleur. J'ai simplement décidé de construire un capteur peu coûteux (le dispositif est un réseau de capteurs qui suivent le soleil pour capter son énergie fait de canettes de bière recyclées) pour utiliser la chaleur solaire quand c'est possible. Vous voyez, les gens continuent à chercher une solution finale absolue, attendant souvent pour utiliser la technologie alternative qu'ils puissent construire une maison à économie d'énergie à partir de zéro, alors qu'il y a beaucoup d'étapes intermédiaires disponibles.
Bev et moi cultivons également nos propres légumes. Nous vivons dans un secteur que le Ministère de l'Agriculture américain décrit comme un sol "pauvre". Ainsi, quand nous nous sommes installés ici il y a 8 ans, j'ai payé 200 $ pour amener de la tourbe par camion et la déposer dans les terrasses en pierre à l'arrière de la maison. Nos voisins se sont moqués de nous en voyant le coût de cette opération ... mais grâce à la récolte des légumes que nous avions planté, le retour sur investissement a été réalisé en un an et demi.
Nous avons également une serre attenante... Je suis lentement mais sûrement en train de poser du double vitrage sur toutes les fenêtres pour isoler la maison ... j'ai l'intention d'ajouter un capteur solaire sur notre piscine pour chauffer son eau ... et ? pendant un temps ? j'ai même élevé des poulets pour fournir de l'engrais pour mes expériences sur le méthane.
De plus, avec mon ami John Ottenheimer nous avons inventé une éolienne. Notre dispositif est construit sur un axe vertical ... une caractéristique qui nous permet de transmettre l'énergie très facilement à terre, empêchant le dispositif d'être "tordu" par des changements de vent soudains. Notre machine peut résister à des rafales de 100 noeuds, et peut être construite en plastique, bois, ou n'importe quelle matière peu coûteuse.
PLOWBOY : Allez-vous commercialiser cette éolienne ?
HERBERT : Pas encore, mais nous en avons l'intention. Nous sommes toujours en phase de tests et affinons la conception ... nous y avons travaillé pendant cinq ans.
Un autre aspect de ma contribution pour l'écologie et les styles de vie alternatifs est d'amener ici "movers and shakers" [expression désignant les personnes dynamiques, qui initient les changements et influence les événements] - des hommes et des femmes comme les officiers de la Société Weyerhaeuser Tree - pour voir notre maison. Je pense qu'il est extrêmement important d'atteindre les personnes qui prennent des décisions qui affectera nos vies à tous et de leur montrer que vous ne devez pas être "un dingue vivant dans un tipi" - ce qui décrit le mieux leur façon de penser, et non ce que je suis - pour être intéressé par la fourniture d'une partie de votre énergie et de votre nourriture.
J'essaye donc d'exprimer mes intérêts des valeurs familiales, sociales et environnementales dans ma vie, aussi bien que dans mes écrits.
PLOWBOY : Je ne peux qu'être d'accord sur l'importance d'être cohérent dans ses actions et ses paroles. Mais quand vous parlez d'exprimer de telles valeurs dans vos écrits, vous faites référence à votre travail d'auteur de science-fiction et pas à votre premier travail, purement journalistique, n'est-ce pas ?
HERBERT : Oh, vous seriez étonnés combien de mes avis j'ai été capable de faire comprendre quand j'étais journaliste. On m'a connu comme un rebelle étrange qui écrivait franchement les choses, mais les gens lisaient ce que j'écrivais... et ça a vendu des journaux.
Je vais vous donner un exemple. J'ai été correspondant de guerre au Viêt-Nam. J'ai été carrément écoeuré par notre commandement militaire sur place car il était évident, pour n'importe qui sur le terrain, que nos "dirigeants" mentaient aux correspondants de presse et au public américain.
Un de mes articles porta sur la corruption profonde, dans le gouvernement Thieu (dirigeant de la RVN, soutenue par les USA), qui coûtait aux contribuables américains des millions de dollars. Un exemple : les militaires avaient commandé beaucoup d'acier pour réparer nos chalands fluviaux. Seulement le calibre de cet acier ne correspondait pas à celui de nos chalands, mais - ô surprise ! - était exactement du calibre des bateaux construits à l'usine voisine de chalands familiale Thieu. Et, ça alors ! peu de temps après cet acier disparut sans laisser de traces. Ces événements n'auraient pas pu se produire à moins que les militaires américains en aient profité tout au long de la chaîne.
J'ai basé mes faits sur cet exemple et d'autres cas de corruption et me suis envolé à Copenhague (à cette époque, il n'était pas bon de rester au Viêt-Nam quand vous rédigiez une histoire dénigrant les autorités constituées, au risque d'être victime d'un "accident" en zone de guerre) puis j'ai envoyé un article complet sur cette conspiration de mensonges et d'avidité. Mon article était une "bombe" et fit les gros titres dans chacune des éditions dominicales de Hearst dans tout le pays.
Il arrivait également que Bill Hearst Jr - qui réalisait régulièrement un édito dans les éditions dominicales - écrivît aussi à propos de la guerre du Viêt-Nam, présentant une image beaucoup plus rose de notre effort de guerre que celui que je développais alors. Mais Bill pensait que c'était une bonne idée de présenter nos points de vues opposés, ensemble, en première page ... parce que la controverse faisait vendre plus de papiers.
PLOWBOY : Donc vous étiez souvent capables d'échapper à un tel journalisme "sans gêne" ?
HERBERT : oui, principalement parce que je pouvais bien écrire - permettant aux lecteurs de comprendre ce que je disais - et j'écrivais sincèrement, affichant honnêtement mon parti pris et ensuite, annonçant ce que j'avais vu.
PLOWBOY : Comment vous êtes-vous intéressés à la science-fiction ?
HERBERT : J'ai commencé par écrire des histoires d'aventure, mais en réalité j'ai essayé une multitude de genres fictionnels. Cependant, c'est la science-fiction qui m'a en fin de compte attiré. Le genre est illimité, qui me permet de créer n'importe quelle sorte de structure pour raconter l'histoire que je veux. Le plus important dans la science-fiction, c'est que je peux travailler aussi bien sur des histoires divertissantes et dramatiques qui ont des analogies avec la réalité. Ainsi je peux passer à travers la garde des lecteurs et parler vraiment aux êtres humains qu'ils sont.
PLOWBOY : Une chose que j'ai remarquée en lisant vos livres est que chaque société que vous décrivez semble avoir des défauts évidents ... peu importe que les intentions de leurs créateurs aient été nobles. Par exemple, le système social le plus positif que j'ai vu dans n'importe lequel de vos travaux était la communauté décrite dans la "Barrière Santaroga". [ndlr: Ce livre peint une ville isolée qui ne participe pas à la société consumériste américaine. Des sociétés commerciales envoient un agent découvrir les secrets de Santaroga et essayer de renverser la communauté.]
À première vue, Santaroga semble être bien supérieure à la société américaine normale. Les gens sont coopératifs, paisibles et heureux. Mais à la fin du livre, j'avais pris conscience des défauts dans la communauté qui mettent sérieusement mis en péril ses vertus.
HERBERT : j'ai écrit "la Barrière Santaroga" avec l'espoir que la moitié des lecteurs finirait par dire, "Waouh, quelle société géniale... Je voudrais vivre là" et l'autre moitié par dire "je n'irai pas moisir là-bas." Le message sous-jacent, alors, c'est que l'utopie d'une personne sera la dystopie, ou le plus mauvais monde possible, d'une autre personne - et que toute tentative de créer une société parfaite tombera dans le piège de s'auto suffire ignorant ces différences entre les individus qui font la force de l'humanité.
PLOWBOY : Ce n'est pas le genre de point de vue unilatéral qu'un lecteur pourrait s'attendre à trouver dans le travail d'un auteur qui prétend "prêcher" dans sa fiction. "Le Preneur d'Âme", comme "la Barrière Santaroga", semble aussi très critique envers la société américaine ... seulement dans ce livre l'alternative assez peu positive est la culture des Indiens d'Amérique, une société que beaucoup pensent comme étant - ou, au moins, ayant été - proche de la perfection. [ndlr : Dans "Le Preneur d'Ame", un Indien spirituellement puissant enlève le fils d'un politicien en vue ... avec l'intention de tuer le jeune innocent au cours d'une cérémonie vengeresse. Un aspect important du rituel est que la victime doit être d'accord avec le meurtre.]
HERBERT : "Le Preneur d'Ame" décrit une collision entre deux mythologies, celle des Indiens d'Amérique et la culture des migrants européens. Et, en vérité, cette collision très réelle n'est pas encore terminée, les deux mythologies ne s'étant pas encore totalement trouvées. En effet, les deux sociétés ont toujours quelques graves malentendus l'une envers l'autre. Beaucoup de personnes, par exemple, pensent que les Indiens étaient les meilleurs écologistes sur terre. Je ne pense pas que c'est entièrement vrai. Quelques cultures d'Indien d'Amérique avaient un impact significatif sur leur environnement... ils étaient juste plus lents - parce que leurs populations étaient petites - à l'endommager que les Blancs.
PLOWBOY : Vraiment ?
HERBERT : Certaines tribus pratiquaient plusieurs formes de meurtres de masse (comme chasser le buffle via les falaises) qui a coup sûr amélioraient leur sort par rapport à celles qui ne les pratiquaient pas. Mais puisque l'impact environnemental de tels actes était trop peu rapide pour être perçu par les gens de l'époque, beaucoup d'hommes et les femmes pensent que les Indiens d'Amérique auraient pu vivre pour toujours en harmonie avec leur environnement si les blancs n'étaient pas arrivés.