Auteur Sujet: Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie  (Lu 15947 fois)

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PLOWBOY : Comment définiriez-vous la "technopaysannerie" ?

HERBERT : Cela nécessite d'établir l'apport de la technologie, mais de façon très imaginative. Nous devons nous poser la question "quels éléments de technologie devrais-je utiliser et comment devrais-je les utiliser ?" Un paysan sait quand et pourquoi saisir une pelle ou une houe. De la même manière, nous devons réfléchir sérieusement à notre propre relation à l'environnement dans son ensemble, à nos valeurs et aux options technologiques ... et prendre des décisions consciemment.
Trop souvent aujourd'hui les gens n'examinent pas ou ne mettent pas en doute leurs suppositions de base. Laissez-moi vous donner un exemple. J'enseignais un cours, à l'Université de Washington, appelé Utopie/Dystopie. Il se présentait comme un examen de l'état actuel de notre pays et de nos mythes sur "vie meilleure"... seulement je n'arrivai pas à obtenir de mes étudiants qu'ils examinent vraiment leurs propres principes sur la technologie et leur style de vie.
J'ai alors eu l'idée de les emmener pour une excursion d'un week-end dans les montagnes Olympiques... au début du printemps quand je savais que le temps serait froid et pluvieux. Tout que j'ai dit à ma classe était "nous serons dehors dans les Olympiques pour deux nuits. Il va pleuvoir. Apportez votre matériel, votre nourriture, du papier et des crayons pour prendre des notes. Je vous retrouverai en haut du sentier."
A cette époque, j'adorais la nature sauvage. J'avais un bon sac de couchage et une tente individuelle excellente avec une moustiquaire et je portais un sac très léger avec mes provisions. Naturellement, mon matériel est ce qu'on peut appeler un produit de haute technologie.
Une fois que nous nous fumes tous retrouvés sur notre camp ? un endroit appelé les Flats ? j'ai installé ma tente, creusé une tranchée d'écoulement, entreposé un peu de bois de chauffage sous l'auvent pour le matin et aidé à organiser le repas du soir. Nous avons mangé et nous sommes partis nous coucher... et la pluie est arrivée. J'étais tout à fait sec et à l'aise dans ma tente, mais beaucoup de mes étudiants n'étaient pas si bien préparés : pendant la nuit, j'ai entendu des cris "mon sac de couchage est tout humide !" ou "mon Dieu, il fait froid !" Je me suis simplement retourné et je me suis rendormi.
Le matin suivant, je me suis levé tôt et j'ai fait un grand feu. Les étudiants tremblants se sont bientôt réunis autour, nous avons partagé quelque chose à manger puis je leur ai dit de prendre leurs blocs-notes. Alors j'ai dit, "bien, une bombe vient juste d'exploser et nous sommes les seuls survivants. Quelles anciennes technologies essayons-nous de reconstituer ?" Laissez-moi vous dire ... ce froid, des jeunes gens mouillés qui avait mangé un petit-déjeuner frugal regardait la technologie de la société d'un peu plus près qu'assis dans une salle de classe universitaire confortable. Les étudiants qui disaient des choses comme "oh sûr que je pourrais le faire sans tout ce truc" commencèrent à poser quelques questions de base et à comprendre que technologie n'est pas un bien ou un mal en soi... tout dépend de comment on l'utilise.

PLOWBOY : Donc, vous dites que la technopaysannerie implique un questionnement par les individus sur leurs besoins fondamentaux afin de prendre des décisions intelligentes sur la façon d'utiliser la technologie ?

HERBERT : Et bien, ce n'est pas tout à fait ça. Il y a d'autres aspects à la question comment utiliser la technologie. Par exemple, la plupart des personnes vivent aujourd'hui dans une société "d'interrupteur" où ils n'ont aucune connexion réelle avec les outils qu'ils utilisent. En cas de coupure de courant, ils doivent appeler le concierge pour qu'il vienne réparer. La connaissance est devenue institutionnalisée dans des spécialités et les individus ont de moins en moins de pouvoir sur leur vie.
Nous devons utiliser la technologie différemment pour que les gens puissent comprendre leurs outils ... et être remis ainsi en contact avec le monde naturel. En fait, une des choses dont notre société a désespérément besoin, c'est d'une voie dans laquelle les gens touchent la terre personnellement et accroître cette force fortifiante qui vient du travail de la terre (ndt : qui vient du sarclage et de la pelle), dans laquelle ils se salissent vraiment les mains. Nous avons besoin d'un système dans lequel les hommes et les femmes peuvent voir les résultats directs de leurs efforts.

PLOWBOY : Serait-il correct de dire que la technopaysannerie peut aider à développer l'estime de soi chez l'individu ?

HERBERT : Oui, mais il y a plus que cela, cependant. Nous devons apprendre à reconnaître que nous ferons toujours des erreurs, et ? sachant cela ? nous ne devrions pas lier nos carrières et le respect de nous-mêmes à des décisions qui pourraient plus tard s'avérer être les mauvaises. Les gens devraient être capables de se dire librement, "Hé, ça n'était pas une si bonne idée. Je ferais mieux de ne pas le refaire."

PLOWBOY : Plus vous décrivez ce concept, plus il englobe de choses ! Vous proposez que les gens apprennent à juger consciemment les outils qu'ils utilisent ... pour employer des technologies qu'ils contrôlent et non l'inverse... et évaluer et réévaluer toutes les ramifications de l'utilisation de chaque technologie spécifique. Franchement, penser que les gens pourraient un jour être capables d'agir selon en prenant des décisions bien considérées sonne comme un rêve idéaliste.

HERBERT : Bien, ça n'arrivera pas du jour au lendemain... à moins que nous n'ayons un phénomène naturel très traumatisant ? comme un cataclysme naturel ou une guerre atomique énormément destructrice ? qui exigerait que nous prenions une telle direction pour survivre.

PLOWBOY : Supposons que nous ne soyons pas dans cette situation extraordinaire, comment pensez-vous que ce changement ait lieu ?

HERBERT : Il s'agira d'une évolution sociale. Quand les individus commenceront à faire des choix technopaysan ? comme convertir de vieux quartiers déshérités en serres ? et montreront que cela peut-être personnellement honorant et assez efficace, de plus en plus de gens seront attirés pour faire de même.

PLOWBOY : Donc vous pensez que les individus qui arriveront à l'autosuffisance agiront comme un catalyseur vers ce mouvement que vous appelez technopaysannerie ?

HERBERT : On peut s'y attendre ! Oui, les individus ouvriront la marche vers la société technopaysanne, mais je n'ai jamais dit que les gens devaient lutter pour l'indépendance absolue. Je pense que chercher à s'affranchir d'une forte dépendance doit être notre but. Nous tous, bien sûr, devons nous méfier des systèmes ? comme ceux qui ouvrent la voie à un état de bien-être/assistance ? qui accroissent systématiquement notre dépendance, mais nous devons aussi nous rappeler une vérité de base : nous sommes interdépendants. Moi-même, je n'essaye pas de vivre dans une ferme complètement isolée. Je n'ai jamais... l'isolement ne fait pas partie de ma philosophie. C'est que nous ne devons pas nécessairement être dépendants des coutumes dans lesquelles nous vivons. Cependant, je crois vraiment que les liens d'une personne devraient être les plus forts avec sa communauté locale, et plus relachés envers de plus grandes communautés.
En fait, je suis persuadé que la vie du Nord-américain moyen améliorerait si notre société était plus basée sur la communauté... si, disons, des villes comme Seattle ou la petite Port Townsend développaient des relations symbiotiques avec les terres cultivées environnantes, de telle sorte que, par exemple, les effluents urbains pourraient comme engrais dans les terres avoisinantes. Une région si interconnectée serait capable d'établir un cycle autonome et ne pas gaspiller l'énergie pour transporter des engrais et de la nourriture sur de longues distances.

PLOWBOY : Voyez-vous l'augmentation de l'autonomie locale comme une part inévitable de notre avenir ?

HERBERT : Les zones locales auront certainement à devenir plus indépendantes. Regardez l'énergie, par exemple. Il y a un changement en cours quant aux carburants alternatifs et l'OPEP n'y peut rien. Je pense que la nouvelle source d'énergie la plus attractive à terme est l'hydrogène. L'hydrogène est un carburant propre ? le sous-produit de sa combustion est l'eau ? et à un rapport énergie/poids de six à un comparé au meilleur kérosène classique. De plus, nous avons déjà la technologie pour faire l'hydrogène, sous forme hydride, plus sûre à manipuler que l'essence.

PLOWBOY : Où trouver l'énergie pour produire du carburant hydrogéné ?

HERBERT : Nous avons le vent, les marées, le différentiel de température dans l'océan... il y a une énorme quantité d'énergie inexploitée. Et le plus important dans le fait d'avoir de telles ressources d'énergie diversifiées, c'est que les communautés seront capables de faire leur propre carburant.
Bien sûr, tout changement qui rend de petites zones plus indépendantes aura autant de bons côtés que de mauvais. Après tout, il y a quelque chose qui fait que nous visons unis dans une société.

PLOWBOY : Attendez une minute ... vous avez passé une bonne partie de cet entretien à condamner le grand gouvernement et à appeler à l'indépendance. Quelle valeur voyez-vous donc dans les sociétés grandes, centralisées ?

HERBERT : Rappelez-vous que nous sommes interdépendants. Ainsi si vous changez la situation qui a engendré la base de l'interdépendance sociale, vous devez instituer des forces adhésives alternatives pour assurer notre union. Regardez-le ainsi : il est tout à fait possible que, dans les 15 ans à venir, une petite communauté comme Port Townsend puisse être en mesure de menacer le gouvernement fédéral.

PLOWBOY : Comment un petit groupe pourrait-il représenter une telle menace ... avec des armes atomiques ?

HERBERT : Bah ! Il y a des armes beaucoup plus dangereux que les armes nucléaires... comme les maladies contagieuses qui ne peuvent pas être guéries, ou les substances qui peuvent être glissées dans l'alimentation ? ou les chaînes d'approvisionnement en eau ? afin de stériliser de grandes populations.
Et le concept souvent loué de gouvernement mondial ne pourrait nullement combattre un tel terrorisme, car ce rêve particulier souffre de ce qui doit être l'une des lois immobiles de l'univers... la vérité, c'est que plus vous essayez de contrôler, plus il y a besoin d'être contrôlé.

PLOWBOY : Comment l'humanité peut-elle traiter les menaces posées par des groupes petits mais puissants ?

HERBERT : Nous devons porter le plus grand soin à la façon dont nous insufflons la moralité à notre jeunesse... et comment nous aidons les gens à croire que les êtres humains sont des créatures semblables et que le monde sera meilleur si chacun essaye vraiment de vivre selon une Règle d'or. Et nous découvrirons probablement ? sûrement après maintes épreuves ? que la seule façon de répandre de telles valeurs est, naturellement, basée sur la communauté et individu.
En fin de compte, je pense que l'individu deviendra de plus en plus important dans ce monde... je pense que la société collective est sur les rails. Mais, de toutes mes déclarations, vous devez vous rappeler que je parle d'un individu qui pèse les conséquences de ses actions, non seulement pour lui/elle-même, mais pour aussi pour les autres. Si nous ne réussissons pas à produire de tels citoyens moraux, nous allons probablement droit dans le mur.

PLOWBOY : Mais estimez-vous vraiment que l'humanité sera capable de faire les changements nécessaires ?

HERBERT : Je pense qu'ils nous seront imposés. Oh, nous ferons quelques erreurs. Nous aurons probablement un certain nombre de leaders fanatiques à combattre dans les années à venir. Je ne vois pas l'avenir en rose, en tout cas. Apprendre de ses erreurs est un processus très lent. Cela pourra prendre 20 ou 25,000 ans pour arriver là où, je pense, nous devons aller.

PLOWBOY : Mais vous pensez que l'humanité survivra... et s'améliorera dans le processus.

HERBERT : Oui, et je pense aussi que, dans l'avenir lointain, les gens se seront dispersés ?dans des sociétés séparées ? dans de nombreuses planètes lointaines. N'oubliez pas, cependant quand vous m'entendez dire ces choses, que la prédiction est une forme de mythologie fausse.
D'ailleurs, même l'idée qu'une telle chose se produise à l'avenir est une sorte de non-sens sémantique ... parce qu'il y aura toujours des changements et de nouveaux événements que personne ne peut prévoir.

PLOWBOY : Je dois donc je devrais prendre toutes vos hypothèses sur l'avenir de l'humanité avec des pincettes ?

HERBERT : Bien sûr.

PLOWBOY : Vous savez, M. Herbert, il apparait que vous m'avez fait une prédiction puis dit de ne pas y croire... parce que, au cours de cet entretien, il a été presque impossible de vous obliger à présenter des idées "soigneusement empaquetées". En fait, votre concept de technopaysannerie semble, dans l'essence, appeler les gens à adopter un état d'esprit d'interrogation qui évite délibérément les solutions d'ensemble. Je peux imaginer que beaucoup d'hommes et femmes qui lisent vos livres ou entendent vos idées préférerait voir un plan clair et peu compliqué auquel ils pourraient répondre.

HERBERT : Très probablement, Monsieur Stone ... mais je ne crois pas aux réponses simples.
« Modifié: août 01, 2014, 02:07:30 pm par Leto »
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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #1 le: septembre 06, 2009, 01:22:38 am »
Merci pour cette traduction. FH est en accord total avec ses ouvrages, ou plutôt l'inverse, ce qu'il écrit n'est pas de la simple fiction mais des mises en garde & avertissements masqués (parfois trop?).
Quand il montre la fenêtre on a tendance à regarder la lune qui y parait...

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #2 le: novembre 09, 2009, 10:26:09 pm »
PLOWBOY : Plus vous décrivez ce concept, plus il englobe de choses ! Vous proposez que les gens apprennent à juger consciemment les outils qu'ils utilisent ... pour employer des technologies qu'ils contrôlent et non l'inverse... et évaluer et réévaluer toutes les ramifications de l'utilisation de chaque technologie spécifique. Franchement, penser que les gens pourraient un jour être capables d'agir selon en prenant des décisions bien considérées sonne comme un rêve idéaliste.

HERBERT : Bien, ça n'arrivera pas du jour au lendemain... à moins que nous n'ayons un phénomène naturel très traumatisant ? comme un cataclysme naturel ou une guerre atomique énormément destructrice ? qui exigerait que nous prenions une telle direction pour survivre.


Je trouve que la question est aussi pertinente que la réponse.
Excellente interview! Je suis en total accord avec Herbert qui, décidément, est bien un visionnaire!
Quand à moi j'applique ses principes y compris très concrètement en élevant des poules et en faisant mon potager ;)
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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #3 le: novembre 10, 2009, 11:01:45 am »
Je pense que la lecture de Jacques Ellul ou Julian Huxley ne pourra que te ravir. Ce sont 2 vaches sacrées de la philosophie herbertienne. Chacun de ces auteurs a tenté de penser le rapport de l'Homme à l'outil, le subtil lien entre le développement de son intelligence et "l'extension" de la main que constitue l'objet. C'est une problématique bien connue également des paléoanthropologues ("homo faber") et d'un urbaniste comme Lewis Mumford.
Je ne développe rien, te laissant la joie de (re-)découvrir ce petit courant de pensée (mais peut-être les connaissais-tu déjà ?). Saches en tout cas que ces auteurs dont se réclame explicitement Herbert (tout comme le biopouvoir de Foucault ou le déclinisme de Spengler) tracent un chemin de lecture fascinant de Dune et de l'ensemble de son oeuvre.
Un mille-feuilles disais-je ...
« Modifié: novembre 11, 2009, 07:52:07 pm par Askaris de Dar »

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #4 le: novembre 10, 2009, 01:15:39 pm »
Plus jeune (il y a une quinzaine d'année!! Vers 15 ans donc) j'avais lu "le meilleur des mondes", qui était excellent. Je le rapprocherais de 1984 d'Orwell. Par contre je ne me souviens plus trop s'il y avait un lien avec l'utilisation de l'outil... Faudrait que je le relise un de ces 4 si j'en ai le temps...

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #5 le: novembre 10, 2009, 06:51:52 pm »
Huxley est un auteur prolifique et pas qu'en SF. C'est l'un des principaux vulgarisateurs du "darwinisme social" (i.e. spencerisme) qu'on identifie abusivement à l'eugénisme européen. Relire Herbert avec un regard d'historien, comme je tente de le faire, oblige à retisser les innombrables fils qui relient son oeuvre à la SF de son époque ainsi qu'aux intellectuels dont il fut explicitement (ou plus confusément tributaire).
J'ai découvert cet aspect d'Huxley, sa famille, ses amis et élèves. Et je me suis surpris à dessiner autour d'Herbert les mailles d'une "nébuleuse" d'auteurs SF un peu réacs, sceptiques face au progrès technique, sensibles aux équilibres écologiques, un peu autarciques, méfiants face aux "pouvoirs"... Herbert, tout comme ses amis Vance et Anderson témoigne assez nettement dans ses interviews de ce background un peu écclectique (transcendantalisme à la Thoreau/ néo-jungisme / écolotégrisme/ libertarianisme /revival catholique /men's movements) mais dont la logique d'ensemble se tient.

Tout ça pour dire que la littérature SF a une histoire propre avec des thèmes récurrents qu'on peut isoler (par exemple l'anti-technicisme néo-luddite existe déjà dans l'Erewhon de Butler au 19°siècle). Mais chez Herbert, comme rarement chez un auteur de SF classique, les thèmes développés empruntent massivement aux sciences dures et sociales de son époque. Il suffit de voir les titres de la bibliothèque de FH ou de lire ses interviews pour voir revenir les mêmes noms: Korzybski, Gôdel, Jung, Thoreau, Malthus, Spengler, Ellul, Foucault, Bachelard, Carson, Machiavel, Bentham ... On comprend mieux alors le qualificatif que les fans attribuent parfois à Herbert : "écrivain-philosophe". Ce n'est pas faux. J'ajoute enfin qu'une bonne appréciation de son oeuvre ne doit pas oublier le contexte de rédaction de son oeuvre : l'horizon tragique du post-Hiroshima, le Vietnam (et vous n'imaginez pas combien FH était proche des mouvements antimilitaristes), la guerilla en Amérique Latine, la 3°révolution  industrielle et les premiers mouvements écologistes.

Je pense que ces 3 prismes (Herbert dans la SF / Herbert dans la science / Herbert citoyen) permettent une interprétation "raisonnable" de ses écrits.

Ça n'empêche pas, bien sûr, que chacun interprète les choses à sa manière. En 2013 nous fêterons le cinquantenaire de Dune. 50 ans de lectures et d'interprétations...


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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #6 le: novembre 10, 2009, 08:48:10 pm »
Merci de ta réponse assez passionnante. Il va me falloir découvrir Huxley d'urgence!!

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #7 le: novembre 10, 2009, 10:50:56 pm »
Huxley et bien d'autres ! Il y a tant d'auteurs SF, de savants et de penseurs à lire ! Par exemple, cette interview montre bien l'importance de resituer Dune dans le cadre de l'oeuvre plus générale d'Herbert : le cycle de Lewis Orne, celui de Pandora, celui de Jorj McKie ou des oeuvres isolées comme le Preneur d'âmes ou le Dragon sous la Mer voire un manuel singulier sur l'IA comme Without Me You're Nothing...
S'arracher aux sables de Dune conduit naturellement à s'interroger sur la pensée d'Herbert, les idées récurrentes qu'il manie, les concepts clefs, les figures emblématiques qui reviennent d'un livre à l'autre.
Je conseille très vivement de se livrer à ce petit jeu, puis après avoir développé quelques intuitions et hypothèses de lecture, s'attaquer à tous les commentateurs de son oeuvre dont on trouvera les textes sur le net (O'Reilly) ou à un prix modique sur e-bay (Touponce/Brian H.).

C'est anecdotique, mais idiot que je suis, je n'ai fait le rapprochement entre Gilbert Dasein (Santaroga) et la philosophie de Heidegger qu'au détour d'une interview de FH dans un fanzine en 1976... C'est bête, mais on pourrait citer d'innombrables exemples de clins d'oeil à la SF (Butler) ou à certaines théories scientifiques du moment (la naissance de la cybernétique/les développements de l'agro-biologie/les théories psychiatriques de l'école de Palo Alto...). Herbert était un incroyable polygraphe (polymath) encyclopédique qui n'avait rien à envier au "bon docteur" Asimov. Je suis en train d'achever la rédaction d'une bibliographie non-dunienne des thèmes duniens (AMHA!!!) dont je posterai le lien ici. Ça pourrait intéresser, qui sait ?

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #8 le: novembre 11, 2009, 07:56:36 pm »
Pour être précis, dans la famille Huxley, Aldous est le plus célèbre mais ses frères Julian et Andrew, ainsi que son grand-père Thomas Henry (ami de Darwin) sont tout aussi, sinon plus importants pour comprendre la vulgarisation des idées darwiniennes (voire leur dévoiement) et leur rencontre avec la culture populaire.

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #9 le: novembre 11, 2009, 09:53:54 pm »
Au risque de faire un petit HS, suis-je le seul à ne pas avoir trop apprécié le Meilleur des Mondes?
Quand je suis plus faible que vous, je vous demande la liberté car cela s'accorde à vos principes; quand je suis plus fort que vous, je prends votre liberté car cela s'accorde à mes principes.
:userbar-dar2:

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #10 le: novembre 12, 2009, 01:08:04 pm »
Ça dépend du point de vue d'où tu t'exprimes : est-ce le style, la construction, le rythme du roman ou plutôt les thèmes, la vision qu'il véhicule ?

Pour ma part, même si j'ai des réserves tout comme toi, j'ai été fasciné par cette vision cauchemardesque d'un "bonheur insoutenable" (pour reprendre le titre du roman d'Ira Levin)... et tu devines bien les innombrables rapports avec Dune.

La chose la plus dérangeante est cette apparente adhésion aveugle aux vertus de "l'ordre génétique" naturel. Je me suis longtemps demandé si Huxley dénonçait cette idée ou non. Le fait que sa famille et son frère en particulier s'en fassent les promoteurs n'a fait qu'ajouter à ma perplexité. Mais je voudrais citer l'épigraphe qui introduit le roman :

«     Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu?on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?? Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d?éviter les utopies et de retourner à une société non utopique, moins parfaite et plus libre.  »
? Nicolas Berdiaeff


Je pense qu'il faut lire Huxley avec cet épigraphe toujours en tête.

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #11 le: novembre 16, 2009, 11:24:20 pm »
Haha incroyable que je lise ca de la pare de FH :o.

Ca tombe au même moment ou j'ai fini un bouquin (éditer en très peu d'exemplaire) de Pierre Bourge, il s'agit d'un grand astronome Français se revendiquant comme un astronome paysan et il l'est (il est dans mon l?asso d?on je fait partie).
Il a écrit plusieurs bouquin don le dernier et celui don je parle : "Enfants Terribles du Cosmos".
J?en ai déjà peut-être parlé ici.

Sont bouquin est très similaire dans les idées a l'interview de FH mai remplaçons ici la terre par le ciel étoilée (du moins une partie du bouquin car il traite de beaucoup de choses).
Il dit que la technologie nous prive de l'unique lien qui nous relie a notre milieu de vie contenant les plus grande questions et réponses : le ciel étoilée.
Si on le perd, on se perd !


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« Modifié: novembre 16, 2009, 11:27:51 pm par Maverick »
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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #12 le: janvier 07, 2010, 02:41:16 pm »
...HERBERT : Bien, ça n'arrivera pas du jour au lendemain... à moins que nous n'ayons un phénomène naturel très traumatisant ? comme un cataclysme naturel ou une guerre atomique énormément destructrice ? qui exigerait que nous prenions une telle direction pour survivre.

C'est amusant de se rendre compte qu'en fait ce phénomène naturel très traumatisant n'a peut-être rien d'un cataclysme matériellement destructeur. Pourtant il va peut-être quand même faire beaucoup de dégât et des millions de morts.

Je parle bien entendu d'une catastrophe écologique doublée de la matérialisation concrète de la guerre économique.

Deux phénomènes conjoint qui poussent les peuples du monde vers la frugalité "technopaysanne" (accompagnée bien sûr de ce "bon vieux sens paysan") que Frank Herbert essaye de définir pour cette interview et dans ses romans pour l'humanité.

Je pense que dans les années à venir les Fremens vont nous donner bien des leçons précieuses à appliquer pour survivre sur "notre" planéte. Si nous n'y prenons garde Arrakis pourrait effectivement bien être ni plus ni moins que le futur de la terre.

En y réfléchissant d'ailleurs.... si c'était le cas, cela pourrait expliquer pas mal de chose sur la façon dont s'est constituer l'empire que l'on découvre dans Dune.  :)

...au cours de cet entretien, il a été presque impossible de vous obliger à présenter des idées "soigneusement empaquetées". En fait, votre concept de technopaysannerie semble, dans l'essence, appeler les gens à adopter un état d'esprit d'interrogation qui évite délibérément les solutions d'ensemble. Je peux imaginer que beaucoup d'hommes et femmes qui lisent vos livres ou entendent vos idées préférerait voir un plan clair et peu compliqué auquel ils pourraient répondre.

HERBERT : Très probablement, Monsieur Stone ... mais je ne crois pas aux réponses simples.

Mon dieu que j'aime Frank Herbert !

Et il a bien défini au départ de l'interview, qu'on ne peu compter sur des réponses simple pour éduquer de façon efficace qui que ce soit.

Mes amis, Frank Herbert avait pour projet ni plus ni moins que d'éduquer l'humanité toute entière et j'espère bien qu'il à réussi me concernant.

On aura l'occasion d'en reparler mais même si a mon avis Frank Herbert à été le meilleurs sur le sujet, une bonne partie de son oeuvre doit pas mal de chose à Alfred Koribsky le père de la sémantique générale (ça ne vous dit rien, mais je suis sûr qu'Alfred Van Voght et "le monde du A" cela vous en dit plus) et a Isaac Asimov avec Fondation. Il y en a d'autre mais ceux-ci sont les plus connus.

Je me demande parfois d'ailleurs si le Bene Gesserit n'est pas simplement la continuation de la branche humaine de Fondation 10 000 ans plus tard. Ou plutôt la vision personnelle de Frank Herbert de cette structure destiné à éviter le pire a toute l'humanité et à la conduire vers l'évolution.

Bref,....Merci Leto pour la traduction de cet article  :) :) :) :)

Merci !



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Re : Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #13 le: janvier 07, 2010, 06:02:51 pm »

Mes amis, Frank Herbert avait pour projet ni plus ni moins que d'éduquer l'humanité toute entière et j'espère bien qu'il à réussi me concernant.

On aura l'occasion d'en reparler mais même si a mon avis Frank Herbert à été le meilleurs sur le sujet, une bonne partie de son oeuvre doit pas mal de chose à Alfred Korzibsky le père de la sémantique générale (ça ne vous dit rien, mais je suis sûr qu'Alfred Van Voght et "le monde du A" cela vous en dit plus) et a Isaac Asimov avec Fondation. Il y en a d'autre mais ceux-ci sont les plus connus.


Tu soulèves là une grande clef de lecture trop rarement mise en avant par les commentaires. Agréablement impressionné par la fraîcheur de tes idées je suis  ;)

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #14 le: janvier 07, 2010, 06:10:10 pm »
Oui, je m'intéresse a la philosophie et d'autre trucs du même genre sur mes vieux jours  :D :D

On aura l'occasion d'en reparler ainsi que de quelques autres idées personnelles.  ;)


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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #15 le: janvier 08, 2010, 08:18:51 am »
Es-tu certain que FH se soit fixé pour projet "d'éduquer l'Humanité toute entière" ?  ??? :o
"Je t'ai longtemps attendue. Voici ma vie..."

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #16 le: janvier 08, 2010, 10:54:31 am »
Je le pense oui.

Frank Herbert n'est pas le seul écrivain de Science fiction a poursuivre de tel objectifs.

Il existe même un exemple funeste ou la réalité a rejoint la fiction qui est celui du basique Ron Hubbard qui pensait que la psychologie de bas étage définie dans ses roman n'était pas assez claire pour le lecteur et a écrit un livre (La dianétique) définissant des règles de vie permettant d'atteindre de nouveau niveaux de conscience (une nouvelle manière de penser et aborder son environnement).

Niveaux de conscience décrit d'ailleurs également par FH comme étant la résultante de l'enseignement BG.

Bon vous avez tous reconnu le prémisse que ce qui s'est avéré pour Ron Hubbard la constitution de l'église de scientologie. Ron a été quelque peu dépassé par ses propres bourdes et c'est rendu compte à la fin de sa vie qu'il aurait du réserver ses enseignement a la science fiction plutôt qu'aux livres pratiques.

Ceci dit il ne faut pas jeter Bébé avec l'eau du bain. Ce n'est pas parce que les idées des aînés de la science fiction ont été dévoyées par certains que leur contribution au bien de l'humanité n'est pas bonne et intéressante.
« Modifié: janvier 08, 2010, 01:35:53 pm par Le Baron »


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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #17 le: janvier 08, 2010, 11:59:26 am »
Je pense comprendre ce que tu veux dire, mais pour ma part j'emploierais un registre moins affirmatif, plus circonspect et prudent. N'y vois pas une critique, loin de là ! J'aime beaucoup spéculer sur la place et le rôle de la SF dans notre culture contemporaine. Cependant, ma modeste expérience de défricheur des archives, notes, études et autres thèses accumulées sur le sujet depuis 50 ans, cette modeste expérience disais-je (car je connais quelques tryphon infiniment supérieurs à moi - comme Altairac ou Spehner) m'incite de plus à plus à la prudence la plus forte (quelques humiliations m'y ont aidé...).

À mesure que j'avance dans mon apprentissage des pans entiers de mes anciennes certitudes s'écroulent littéralement sous mes pas. Si je devais juger de la pertinence des écrits que j'ai laissé sur ce forum depuis un petit moment, il n'est pas sûr que j'en garde beaucoup ...

Alors oui ! De Butler à Roszak, d'H.G.Wells à Huxley il y a une filiation continue de penseurs (notamment britanniques) sceptiques face au concept de "progrès". Cette filiation "faustienne" de la SF, si étrangère au sens of wonder campbellien et à son optimisme technicien, trouve aux États-Unis une nébuleuse néo-libertarienne (nourrie de Spengler, de Lovecraft et de Thoreau) ravie de pouvoir s'arracher à la contemplation béate des étoiles. C'est là, entouré de ses rares amis au sein de la profession (Anderson, Vance,Pohl,Spinrad) qu'Herbert va tracer un sillon à la fois héritier de l'âge d'or (il publie dans Analog) et soucieux de cette "speculative" fiction si vigoureusement appelée de ses voeux par Heinlein. C'est à tort qu'on a (que j'ai) rattaché FH à la mouvance de la New Wave. Leurs racines étaient différentes, mais leurs chemins furent si souvent parallèles qu'ils furent confondus.

Néo-libertarienne, néo-transcendantaliste, néo-réactionnaire ? Peut nous importe l'étiquette. La philosophie de FH se laisse difficilement cataloguer. À peine croit-on l'avoir cerné qu'il nous échappe. Voilà qu'un critique pontifiant de SFS le dessine en philosophe de la SF... aussitôt FH réplique dans une interview pour récuser toute idée chez lui de faire des romans à clef (on le croit à moitié), jurant ses grands dieux que le style, le divertissement doivent l'emporter sur toute autre considération !

Malin le FH... Les références de sa bibliothèque, les allusions sybillines, les "jeux de moirés" (pour reprendre l'expression si juste de Dieu)...rien n'est laissé au hasard et surtout pas de solution facile ou de système fermé. Il y aurait beaucoup à dire sur sa réception de la DE de McNelly & consorts qui fut loin d'être aussi cordiale que ne le laisse penser son petit avant-propos poli et réservé...

Non, il n'est pas né celui qui peut prétendre maîtriser pleinement le miroir dunien. Et certainement pas son concordancier de fils...

Un homme capable de parler de Jung, d'Heidegger et de Reich dans le même livre (en 1955...) puis d'y revenir pendant 30 ans à travers 4 cycles et une infinité d'histoires et de contextes manifeste une cohérence d'une rare profondeur. Reste qu'en ayant dit cela on ne ferme pas l'enquête, on ne fait qu'entrapercevoir un sentier ...d'Or qui sait ?  ;)
« Modifié: janvier 08, 2010, 12:09:22 pm par Askaris de Dar »

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #18 le: janvier 08, 2010, 01:09:21 pm »
Que l'oeuvre (pas seulement le Cycle Dunien) puisse avoir en germe la capacité d'éduquer l'humanité toute entière (je préfèrerais "aider" à éduquer...), pourquoi pas...?

Mais de faire de FH un auteur s'étant assigné volontairement une telle tâche immense me semble surprenant.

Comme Askaris, j'ai du mal à assimilier Dune par exemple au texte "sacré" d'une pseudo religion comme cela a été le cas par certains fans (Askaris connait mieux le sujet que moi, il pourra m'aider à argumenter).

De même, et malgré les références assez claires, dans le Cycle, à une forme de religiosité, je me méfie de tout vocabulaire s'y rattachant pour parler de ce(s) roman(s), à l'exeption du mot "Canon" qui est plus facile à taper que "Hexalogie"... ;D
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Re : Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #19 le: janvier 08, 2010, 03:11:42 pm »
...Que l'oeuvre (pas seulement le Cycle Dunien) puisse avoir en germe la capacité d'éduquer l'humanité toute entière (je préfèrerais "aider" à éduquer...), pourquoi pas...?...

C'est ce que dit Herbert dans cette interview. Il (on) ne peu éduquer personne directement. L'éducation est une démarche personnelle librement consentie et ne peut être imposée.

C'est également pour cela qu'il répond au journaliste en quête de certitudes et d'un mode d'emploi clair que les choses ne sont pas si simple.

Pour savoir lire et décoder la philosophie ou faut posséder des référentiels culturel et d'ouverture d'esprit assez étendus. Cet état de fait rend l'appréhension de la richesse philosophique difficile à acquérir par le "grand public".

Certains grands auteurs de Science fiction possèdent ce référentiel et en ont fait profiter leur lecteur, comme il semble être le cas pour Frank Herbert (dixit Askaris). Les grands auteurs de science fiction ont souvent pour tâche de définir des hypothèses prospectives (dsl pour les mots compliqués) pour l'humanité.

Ils n'ont pas seulement projetés leur monde dans une évolution de la technologie mais également dans une évolution du futur de "l'homme". Ils ont donc étudiés l'état des connaissance sur la nature humaine et ont essayé d'imaginer comment l'humanité pouvait elle même évoluer conjointement a leur environnement. Les auteurs ayant poussés ce type de réflexion à leur paroxysme ont créé la "Hard Science Fiction".

Loin d'avoir autant de connaissance qu'Askaris je ne pourrais vous citer les auteurs et leur diverses contributions au genre.

Mais il y a une chose qui est sûre c'est que certains des grand auteurs ont écrit non pas seulement des ?uvres destinée à distraire les foules mais bel et bien à proposer des projets d'évolution pour l'humanité (positif ou par opposition négatif pour essayer de provoquer un mouvement inverse).

Je pense que Frank Herbert faisait partie de ce courant. Je pense aussi qu'il a laissé (consciemment ou inconsciemment) pour les lecteurs de son ?uvre les moyen d'atteindre ce fameux "sentier d'or" qui devrait conduire l'humanité vers une évolution positive.

Dans ce sens on peut dire qu'il à écrit l'équivalent d'un livre saint (bien que la foi ne soit pas a mon sens, son objectif)

Je pense comprendre ce que tu veux dire, mais pour ma part j'emploierais un registre moins affirmatif, plus circonspect et prudent. N'y vois pas une critique, loin de là ! J'aime beaucoup spéculer sur la place et le rôle de la SF dans notre culture contemporaine. Cependant, ma modeste expérience de défricheur des archives, notes, études et autres thèses accumulées sur le sujet depuis 50 ans, cette modeste expérience disais-je (car je connais quelques tryphon infiniment supérieurs à moi - comme Altairac ou Spehner) m'incite de plus à plus à la prudence la plus forte (quelques humiliations m'y ont aidé...).

Je sais, je suis un adepte de l'écriture affirmative et je nourri mon intellect et mes actions de certitudes. C'est un trai de caractère qui fait que parfois on me déteste (ou on m'aime).

Néanmoins si l'on me contredit (avec raison) je ne suis pas humilié. Je fait évoluer mes connaissances et je révise mes certitudes en prenant en compte ces nouvelles informations. C'est Frank qui m'a appris a faire cela je crois.

L'égo est l'ennemi de la connaissance
(ne cherchez pas de référence Dunienne ce précepte est personnel).

...À mesure que j'avance dans mon apprentissage des pans entiers de mes anciennes certitudes s'écroulent littéralement sous mes pas. Si je devais juger de la pertinence des écrits que j'ai laissé sur ce forum depuis un petit moment, il n'est pas sûr que j'en garde beaucoup ...

Je vois que nous partageons les mêmes valeurs.

...Alors oui ! De Butler à Roszak, d'H.G.Wells à Huxley il y a une filiation continue de penseurs (notamment britanniques) sceptiques face au concept de "progrès".

Cette filiation "faustienne" de la SF, si étrangère au sens of wonder campbellien et à son optimisme technicien, trouve aux États-Unis une nébuleuse néo-libertarienne (nourrie de Spengler, de Lovecraft et de Thoreau) ravie de pouvoir s'arracher à la contemplation béate des étoiles. C'est là, entouré de ses rares amis au sein de la profession (Anderson, Vance,Pohl,Spinrad) qu'Herbert va tracer un sillon à la fois héritier de l'âge d'or (il publie dans Analog) et soucieux de cette "speculative" fiction si vigoureusement appelée de ses voeux par Heinlein. C'est à tort qu'on a (que j'ai) rattaché FH à la mouvance de la New Wave. Leurs racines étaient différentes, mais leurs chemins furent si souvent parallèles qu'ils furent confondus.

Je ne pense pas qu'Herbert soit particulièrement septique face au progrès technologique. Il a dans Dune, débarrassé l'humanité de sa béquille technologique simplement parce quelle l'empêche de progresser et que Frank voulait justement que son roman soit le compte rendu de cette possibilité de progression.

On retrouve dans son interview, ce besoin de ne pas se reposer sur la technologie sans vouloir la rejeter (Comme les Amiish). Le message me paraît clair et si FH l'avais entendu dans la bouche du journaliste il aurait abordé un nouveau point (* Je pense que Franck n'aurait pas répondu par une affirmation  ;)) : "L'homme doit utiliser la technologie et non pas se reposer sur elle".

...Néo-libertarienne, néo-transcendantaliste, néo-réactionnaire ? Peut nous importe l'étiquette. La philosophie de FH se laisse difficilement cataloguer. À peine croit-on l'avoir cerné qu'il nous échappe*. Voilà qu'un critique pontifiant de SFS le dessine en philosophe de la SF... aussitôt FH réplique dans une interview pour récuser toute idée chez lui de faire des romans à clef* (on le croit à moitié), jurant ses grands dieux que le style, le divertissement doivent l'emporter sur toute autre considération !

Malin le FH... Les références de sa bibliothèque, les allusions sybillines, les "jeux de moirés" (pour reprendre l'expression si juste de Dieu)...rien n'est laissé au hasard et surtout pas de solution facile ou de système fermé. Il y aurait beaucoup à dire sur sa réception de la DE de McNelly & consorts qui fut loin d'être aussi cordiale que ne le laisse penser son petit avant-propos poli et réservé...

Non, il n'est pas né celui qui peut prétendre maîtriser pleinement le miroir dunien. Et certainement pas son concordancier de fils...

Celui qui recherche la perfection, se rend bien vite compte que c'est une cible mouvante (George Fisher).

Je n'ai pas pour prétention d'avoir tout compris de Frank Herbert. Par contre je suis sûr que je continuerai toute ma vie à rechercher cette compréhension. Elle est différente a chaque lecture et j'aime ça.


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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #20 le: janvier 08, 2010, 03:24:07 pm »
De mon côté, je pense que si FH avait eu l'ambition de vouloir éduquer l'humanité il s'y serait pris autrement. Il aurait crée une oeuvre moins dense et plus ouverte. "Les plans dans les plans" sont pour moi la barrière à une 1ère lecture abordable et instructive. Très peu d'enseignements émergent. Je ne parle pas des volumes suivant Dune, où le sentier suivi par FH peut dépasser l'entendement. J'ai rencontré certains lecteurs qui se sont posés des questions quant à sa santé mentale après la lecture de l'EDdD.
Le lecteur aura bien compris la nécessité pour l'homme d'apprendre à vivre avec son environnement, mais une telle éducation aurait nécessité, je pense, qu'il apporte quelques réponses aux questions nées de ses romans, ce qu'il évitait soigneusement dans ses interviews.
Cette épigraphe : "la question qui se pose pour les humains n'est pas de savoir combien d'entre eux survivront dans le système mais quel sera le genre d'existence de ceux qui survivront" est pour moi révélatrice de sa pensée dans le domaine. Un éveil avancé d'une inéluctable déchéance de notre civilisation, et on reconnait là son approche systémique. L'inévitable va arriver, à quoi bon éduquer puisqu'il est trop tard, le monde est en marche. Donner des pistes, des aspirations et des inspirations, étaient peut-être plus l'envie de FH. Son approche de notre société était de toute façon trop éloignée des "canons" contemporains pour pouvoir avoir une influence globale, son intérêt pour l'antipsychiatrie en étant une démonstration.
Reste qu'il est, pour ceux qui réussissent à franchir la barrière, un écrivain de génie, auteur d'un chef d'oeuvre de la SF. Il n'a peut-être pas voulu éduquer, mais là je te rejoins "Baron", j'ai été touché et influencé par son approche de la philosophie, de la politique, de la psychologie, de l'écologie ou bien de la religion. Et il reste pour certains la voie/voix à suivre...

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Re : Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #21 le: janvier 09, 2010, 02:57:29 pm »
On aura l'occasion d'en reparler mais même si a mon avis Frank Herbert à été le meilleurs sur le sujet, une bonne partie de son oeuvre doit pas mal de chose à Alfred Koribsky le père de la sémantique générale (ça ne vous dit rien, mais je suis sûr qu'Alfred Van Voght et "le monde du A" cela vous en dit plus) et a Isaac Asimov avec Fondation. Il y en a d'autre mais ceux-ci sont les plus connus.

J'en profite pour vous faire partager une découverte de Lotek (un membre de Jacurutu) : un article d'un certain Ronny Pakerson sur, justement, La sémantique, la sémantique générale et l'écologie dans le Dune de Frank Herbert.
Cet article est en anglais. Si je le trouve intéressant et que j'ai la motivation (surtout  ;D), j'essayerai d'en faire une traduction (il n'est pas plus long qu'un gros article de la DE).

Citer
Bref,....Merci Leto pour la traduction de cet article  :) :) :) :)
Mais de rien  ;) Ça me permet à la fois de conserver mon niveau d'anglais, d'en apprendre encore sur la richesse de Dune et de me cultiver. Alors si en plus ça peut être utile...
« Modifié: janvier 09, 2010, 03:01:09 pm par Leto »
L'espace et le temps sont les modes par lesquels nous pensons et non les conditions dans lesquelles nous vivons
Albert Einstein

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #22 le: janvier 09, 2010, 04:07:56 pm »
FH qui personnifie la voix et Jessica qui analyse une situation à l'aide de ses capteurs sémantiques, j'ai encore des choses à découvrir dans Dune.
Intéressant : le pouvoir des mots (mais aussi du silence) et leur personnification, et l'écologie sémantique (lu avec une connaissance moyenne de l'anglais), mais d'après moi l'analyse manque de profondeur ou alors c'est que j'ai pas tout compris   :-[

Un lien pour sourire/réfléchir sur l'écologie sémantique (ou plutôt la sémantique de l'écologie) : ici
« Modifié: janvier 09, 2010, 11:00:12 pm par Seti »

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Re : Interview de FH dans MEN, part IV (fin) : de la technopaysannerie
« Réponse #23 le: juillet 25, 2011, 12:26:51 pm »
Une traduction de cette interview se trouve sur le blog du Bélial. À première vue ce n'est pas un plagiat de ce qu'a fait Leto :

http://blog.belial.fr/post/2011/07/25/Celui-qui-prechait-dans-le-desert-un-entretien-avec-Frank-Herbert